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Le Brexit ne changera pas la donne au Parlement européen

| Jean Comte, Fellow de l'Institut Open Diplomacy

23 janvier 2020

Avec la présentation de son “programme de travail pour 2020”, prévue fin janvier, la nouvelle Commission européenne va relancer la machine législative bruxelloise. En amont, ses fonctionnaires ont enchaîné les rencontres avec les 751 eurodéputés pour préparer le terrain. Un travail nécessaire : le Parlement sorti des urnes en mai dernier dessine un paysage politique beaucoup plus instable que ces dernières années.

Le groupe libéral met fin au duopole historique

Les électionseuropéennes de mai 2019 ont bouleversé l’équilibre interne au Parlement, en mettant fin à la majorité absolue qu’avaient jusqu’à présent les conservateurs du Parti populaire européen (PPE) et les Socialistes & Démocrates (S&D). Avec respectivement 181 et 154 membres, ils ne peuvent plus prétendre contrôler l’agenda législatif à eux deux.

Dans ce contexte, les 108 membres du groupe libéral Renew Europe (RE) sont devenu pivots. Ce nouveau groupe a marqué le début du mandat en obtenant plusieurs postes de commissaires européens, ainsi que la présidence de plusieurs commissions parlementaires cruciales – notamment celles de l’Environnement, devenue la plus importante de l’institution.

Renew reste toutefois un facteur d’instabilité, avec un positionnement politique encore flou (cf. Renew Europe, attention travaux en cours, Jean Comte et Fanny Roux, Contexte, 12 novembre 2019). Après avoir approuvé la nouvelle présidente de la Commission européenne sans demander beaucoup de concessions, ils ont formé un bloc pro-écologie avec les Socialistes et les Verts lors des premières négociations internes à l’institution - mettant le PPE en minorité. Ils ont également joué un rôle clé dans le rejet du candidat commissaire PPE Laszlo Trocsanyi fin septembre - ce qui a poussé le PPE à rejeter en échange la candidate libérale française Sylvie Goulard.

Les populistes sont moins forts que prévu

Malgré une croissance importante ces dernières années, les populistes n’ont pas réussi le hold up qu’ils espéraient. Le groupe d’extrême-droite Identité et démocratie (ID) n’a que 73 membres et se heurte toujours au cordon sanitaire créé par le reste du Parlement pour l’empêcher d’accéder aux postes clé. Si plusieurs sources rapportent une implication plus forte de ses membres, cette dernière reste donc limitée à des interventions orales ou écrites - et non au fond des dossiers.

Le groupe Europe de la liberté et de la démocratie directe, qui fédérait le Mouvement 5 Étoiles et le Brexit Party, a lui complètement disparu au lendemain des élections. Beaucoup de ses anciens membres sont maintenant non-inscrits, ce qui leur fait complètement perdre la main sur l'obtention des dossiers législatifs ou des poste clés.

Le positionnement des Verts est encore hésitant

Dans cette nouvelle configuration, le rôle des Verts est décisif. Avec 73 députés, ils sont devenus le quatrième groupe de l'hémicycle (à égalité avec ID), et peuvent devenir le maillon nécessaire pour faire accepter les textes clés du « Green new Deal » promis par l’exécutif.

Très critiques sous les commissions Barroso et Juncker, ils ont décidé de s’abstenir pour Ursula von der Leyen. La prise en compte des sujets climatiques par cette dernière leur paraît en effet un bon signe, et ils affirment vouloir se montrer « constructifs ».

Le groupe n’a toutefois pas la même force que les trois partenaires de la coalition – PPE, S&D et Renew Europe. Outre sa taille plus faible, il ne bénéficie d’aucun chef de gouvernement aux sommets du Conseil européen, ni d’un représentant au collège des Commissaires (sauf à considérer Virginijus Sinkevičius, dont l’“Union lituanienne agraire et des verts” participe au groupe politique des Verts). Enfin, il échoue à se montrer représentatif de l’ensemble de l’UE, avec une présence concentrée sur les pays nordiques et le cœur historique de l’Europe des six.

Le Brexit ne redistribue les cartes qu’à la marge

Nouveauté de cette mandature, les cartes devraient être redistribuées fin janvier, avec la matérialisation du Brexit attendu depuis trois ans. 46 sièges de députés seront supprimés, et 27 alloués à des députés élus sur des “listes de réserve” dans les 27 autres Etats membre (voir les détails ici).

La manoeuvre va modifier le poids des groupes. Selon des estimations des services du Parlement, le PPE  sera le plus grand gagnant du rééquilibrage, avec cinq membres supplémentaires. Les perdants seront RE (moins onze), les Verts (moins 7) et les S&D ( moins 6).

Ces différences ne jouent qu’à la marge dans la mesure où elles ne bouleversent pas le poids relatif des groupes. Une point intéressant, toutefois : en gagnant trois membres supplémentaires, ID passerait devant les Verts – devenant le quatrième groupe de l'hémicycle.