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Comment la Chine esquisse une nouvelle géopolitique des Droits de l’Homme en réprimant la diversité

12 décembre 2019

La révolte des militants démocrates hongkongais bat en brèche l’objectif de “pays unique” prôné au Parti communiste chinois. L’emprisonnement arbitraire de milliers d’Ouïghours et de Kazakhs, populations musulmanes turciques du Xinjiang, dans des camps de concentration questionne la rhétorique d’émancipation des minorités affichée par la révolution de 1949. Alors que reste t-il des discours de Xi Jinping, “unis dans la diversité” ? Au fond, pourquoi et comment la Chine organise-t-elle son unité factice ? Comment est-ce que cela redessine la géopolitique des Droits de l’Homme aux Nations unies ?

Du Nord au Sud, d’Est en Ouest, la croissance économique chinoise effrénée de ces quarante dernières années a uniformisé la Chine. Tant sur le plan urbanistique qu’architectural, les villes chinoises effacent les contrastes des climats, des styles de vie et par la même occasion de la diversité ethnique, religieuse ou linguistique de “l’Empire du milieu”. Destructions des centres historiques et constructions de grands ensembles tirés au cordeau créent un paysage générique à perte de vue. A la ville comme à la campagne. Une seule différence frappe le visiteur : plus on s’éloigne de l’archipel des villes développées de la côte méridionale, plus les slogans d’unité et statues de Mao Zedong sont nombreux. Se confirment alors la mainmise du pouvoir central sur des périphéries étroitement contrôlées.

Le « tigre de papier » capte les ressources aux profits des Han

A la révolution, la Chine se veut unie et ouverte aux identités plurielles des peuples qui la compose. Mao Zedong et le Parti Communiste Chinois opèrent un tournant sémantique et politique en 1949. Ils redéfinissent le peuple chinois et passent d’une définition administrative à une définition ethnique. Hier, sujets de l’empereur, la population Han comme les anciens peuples des protectorats de l’empire sino-mandchou - les populations turque, mongole, et tibétaine - sont alors classés en 56 minorités. C’est le début du grand récit national d’une Chine unie et riche de sa diversité.

L’exaltation des minorités est en fait un trompe l’oeil. Le Parti organise la captation des ressources des territoires des principales minorités au profit de l’ethnie “Han” majoritaire. Derrière l’idéal révolutionnaire inspiré du système soviétique se profile déjà l’inégalité. Mao Zedong en fait une excellente définition : les Han ont vaste population tandis que les minorités disposent de vastes territoires et de riches ressources

La Chine crée le statut de provinces autonomes. Le Guangxi, la Mongolie-Intérieure, le Ningxia, le Xinjiang et le Tibet en sont issus. Il y a aussi des régions administratives spéciales comme Hong Kong et Macao qui affichent de la diversité. Tous des villages Potemkine.

Derrière ces appellations, s’organise une mise au pas des différences. L’administration se déploie pour détourner les ressources de ces provinces au profit de l’ethnie majoritaire, les Han. Qu’ils s’agissent des ressources financières de Hong Kong, du positionnement stratégique du Xinjiang et des ressources pétrolières sur les routes de la soie, des ressources en eau et minerais au Tibet et ou de l’énergie éolienne générée par la Mongolie, l’accaparement des ressources n’a jamais cessé.

Sinisation à marche forcée

Alors que la fierté nationale s’affermit avec la puissance internationale de la Chine, les années 2000 marquent un tournant vis-à-vis des minorités. C’est la fin d’une relative ouverture.

Se déploient alors des mécanismes d’oppression coloniale. Au Xinjiang, les Han étaient 6 % en 1949, ils sont 37 % en 2015. Cette pression démographique résulte d’une politique de repeuplement systématique pour acculturer les populations locales au Tibet, au Xinjiang et dans d’autres provinces aux particularismes forts comme en Mongolie intérieure. Dans ces mêmes régions, les écoles ont des programmes d’éducation “patriotique”. 

L’objectif est clair : éradiquer l’Islam au Xinjiang et le Bouddhisme au Tibet, ainsi que les langues locales. Depuis le lancement, en 2014, de la “campagne contre l’extrémisme violent” au Xinjiang, tous les services d’Etat diffusent des messages d’interdiction du jeûne au moment du Ramadan à Urumqi et dans les grandes villes comme Kashgar. Au Tibet, la persécution religieuse continue. D’après le rapport 2019 d’Human Rights Watch, des menaces ont pesé sur des centaines de Tibétains dotés de passeports chinois et leurs familles parce qu’ils suivaient l’enseignement du Dalaï Lama en Inde.

Pour légitimer ses pratiques autoritaires, le gouvernement se pose en victime et en réactions à la colonisation occidentale du XIX et XXe siècles. La sinisation à outrance atteint son paroxysme avec l’installation des camps de concentration des Ouïghours à partir de 2017. Et il y a un autre avatar de la sinisation à marche forcée : la folklorisation des minorités ethniques - notamment au Yunnan - et dans les provinces touristiques du Sud-Est. Les minorités y sont achetées à coup d’investissements touristiques et réduites à une main d’oeuvre pittoresque et docile. 

Xi Jinping a nourri le fantasme d’une “civilisation chinoise” sans concessions pour les dissensions internes. Mais les velléités autonomes préexistaient à la création du cadre territorial de 1949. La République de Mongolie intérieure a été créée en 1911 et l’Etat indépendant tibétain a existé de 1912 à 1951 puis annexé par Chine de Mao. Ces contestations secouent régulièrement la Chine comme des spasmes réagissant au pouvoir central lors qu’il ne respecte pas ses engagements envers les particularismes.

Cette incapacité de la Chine actuelle à donner corps au respect des identités ou du principe “un pays, deux systèmes” est particulièrement patente à Hong Kong. Et pour cause, c’est à cette région que la Chine avait promis « un niveau élevé d’autonomie » dans la Déclaration conjointe sino-britannique signé en 1984. En 2008, la majorité des Hongkongais se déclarait “chinoise”. 10 ans plus tard, 2 millions d’entre-eux ont participé aux manifestations (parmi 7 millions d’habitants). 

Le Parti Communiste Chinois réagit en opportunité

Au Xinjiang ou au Tibet, les atteintes aux libertés fondamentales ont été mises en sourdine par le Parti Communiste Chinois. En Chine comme à l’international. Depuis les révélations du New York Times, elle font désormais l’objet d’un silence embarrassé. 

Les revendications des Hongkongais connaissent aujourd’hui un destin tout autre. Le sujet fait la une de la presse internationale, avec des titres comme “Swarn in Hong Kong protests China’s Evil Law” en tête du New York Times, le 9 juin. L’écho médiatique international est très fort depuis le début du mouvement, s’amplifiant depuis le retranchement des étudiants dans l’université polytechnique. Les protestations ont d’ailleurs reçu le soutien du président américain qui a promulgué une loi de soutien aux militants pro-démocratie. 

Le mouvement social a commencé en s’opposant à la loi sur l’extradition portée par le gouvernement pro-Pékin de Carrie Lam. Mais en fait, à Hong Kong, il se joue une lutte beaucoup profonde contre les attaques du PCC aux droits à la liberté d’expression, d’association et de participation politique. Le resserrement va crescendo depuis septembre avec l’interdiction d’un parti pro-indépendance, les pressions de nature économique, les violences policières contre les manifestants. 

Face à ces deux crises, au Xinjiang et à Hong Kong, le gouvernement chinois a usé de stratégies différentes pour préserver son image unitaire. 

La Chine, deuxième puissance économique mondiale, ne peut pas déployer ses troupes dans une des vitrines de la finance mondiale. Au risquer de nuire à sa prospérité économique ou de déclencher un conflit violent avec ses partenaires commerciaux. L’une des rares conclusions politiques fortes du G7 de Biarritz portait d’ailleurs sur Hong Kong. Le G7, malgré le dissensus fort entre ses membres, rappelle « l’existence et l’importance de la déclaration sino-britannique de 1984 sur Hong Kong » et appelé « à éviter les violences ».

Alors dans l’arrière-pays chinois, la Chine redéploie sa rhétorique. Elle y ressert le même discours hypocrite qu’elle a donné aux diplomates sur le traitement de la communauté ouïghoure. En 2017, lors d’une exposition aux Nations Unies, la République Populaire montrait des photos de personnes ouïghoures bénéficiant d’une formation professionnelle pour masquer l’horreur des camps de concentration. 

Contre les critiques sur l’étendue de son système concentrationnaire, la Chine s’offre à l’ONU un soutien diplomatique massif patiemment construit. Le 29 octobre dernier, à l’initiative de la Biélorussie, 54 Etats ont soutenu la politique de Pékin au Xinjiang, alors que le rapporteur de la 3e Commission de l'Assemblée générale de l'ONU venait de nouveau de recommander à la Chine d’accorder un accès total à la province à la Haute Commissaire des Nations unies aux Droits de l’Homme, Michelle Bachelet, qui le sollicite depuis des mois.