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Chine : résurgence de l’Etat dans une économie en transition ?

Sacha Courtial, Fellow de l'Institut Open Diplomacy

26 mai 2019

Depuis la libéralisation du pays impulsée par « les 4 modernisations » de Deng Xiaoping dans les années 1980, une série de réformes a accompagné le mouvement de libéralisation interne et d’ouverture au marché mondial de la Chine continentale. Cette ouverture eut comme conséquence première un recul du poids de l’Etat dans l’économie chinoise, qui contrôlait encore, dans les années 1990, plus de 90% de la production du pays (1). Incontestablement, le poids de l’Etat a diminué depuis que les entreprises privées ont été autorisées et ces dernières produisent aujourd’hui plus de la moitié du PIB chinois, ainsi que 4/5e des nouveaux emplois (2). Cependant la Chine reste l’un des Etats les plus interventionnistes du monde avec une planification tous les 5 ans qui définit les objectifs de développement, de construction et donc d’investissements par secteur. Le 13e plan quinquennal (2016-2020) caractérisé par la pleine présidence de Xi Jinping démontre à nouveau le dirigisme étatique qui prévoit des investissements massifs dans les infrastructures (One Belt, One Road Initiative), la transition énergétique (3) et la Recherche & Développement. L’économie chinoise est donc en pleine mutation, avec une ouverture et une libéralisation qui permettent au secteur privé de grandir, faisant reculer le poids global de l’Etat. Néanmoins on constate également que dans certains secteurs clés, une résurgence du dirigisme étatique apparaît.

Diminution du poids de l’Etat dans l’économie chinoise  

Le mouvement de libération de l’économie chinoise fut impulsé par l’Etat par la voie juridique et économique. Une première loi a autorisé les particuliers à détenir des sociétés à responsabilité limitée dans les années 2000, puis en 2004, la constitution a été remaniée afin de renforcer le rôle du secteur non étatique et réaffirmer le droit de la propriété privée. Enfin, l'interdiction faite aux entreprises privées d'intervenir dans certains secteurs (infrastructures, services publics, services financiers) a été levée en 2005. Dans le même temps, le monopole d'État sur le commerce extérieur a été démantelé, ainsi que le système de taux de change multiples. L'investissement direct étranger a été autorisé et incité par la mise en place de zones franches côtières, d’abord au nombre de quatre puis progressivement élargies à 53 villes et une province entière (Hainan). Enfin, la diminution du taux de croissance depuis 10 ans (14% en 2007, 6% en 2018) (4) et l’accroissement de la dette de l’Etat (150% du PIB en 2007 à plus de 260% fin 2017) ont contribué à remettre en cause la performance de l’Etat à diriger pleinement l’économie.

La remise en question des entreprises d’Etat : difficultés du secteur public face au secteur privé

Les entreprises dites « d’Etat » sont des entités sous contrôle étatique alimentées en grande partie par des capitaux étatiques. Elles constituent dans certains secteurs de réels « monopoles publics » mais sont maintenant concentrées dans des secteurs spécifiques : Energie, Transport, Banque, Communication. De plus, elles sont de plus en plus détenues par des capitaux hybrides (public/privé) avec une capitalisation boursière. Enfin, malgré les restructurations permanentes du secteur d’Etat, qui ont conduit à la suppression de 45 millions d'emplois au cours de la première moitié de la décennie, 35 % des entreprises d'État sont encore jugées non rentables, et une sur six a des fonds propres négatifs (5). Les entreprises privées, en revanche sont aujourd’hui à la pointe de l’innovation et au cœur de la mondialisation comme Huawei (6).

L’engagement de l’Etat dans les entreprises semble atteindre ses limites. Il y a tout d’abord la question de la pertinence de cet engagement dans certains secteurs tertiaires (bancaire…) qui souffrent déjà de surinvestissement et les rendent peu compétitifs. A l’inverse, à l'intérieur de ce secteur privé, les entreprises étrangères (souvent associées à des entreprises chinoises) réalisent 75 % des exportations. Mais les exportations du secteur privé progressent encore plus rapidement, à mesure que lui est octroyé de nouvelles licences d'exportation. Keyu JIN, économiste à la London School of Economics, estime que le ralentissement chinois actuel n’est pas dû à la transition vers un autre modèle de croissance, mais résulterait surtout du fait que le secteur privé soit étouffé par le public (7). Plus spécifiquement, les entreprises nationales disposent d’un traitement préférentiel dans l’acquisition des commandes, des droits de propriété ou du crédit. D’autres, comme Zhang JUN, directeur du Centre des Etudes Economiques de l’université de Fudan, recommandent de limiter le rôle des entreprises nationales à certains secteurs seulement. L’entrée d’entreprises privées sur le marché engendrerait davantage d’innovation et de compétitivité. Cependant, agir dans le cadre d’une économie de plus en plus soutenue par la demande intérieure devient très complexe.

La résurgence de l’Etat dans les investissements : les nouvelles énergies

Si les deux dernières décennies sont marquées par un recul progressif de l’Etat au profit d’une libéralisation économique, on constate tout de même un fort maintien de l’intervention du gouvernement dans l’économie chinoise. Cela est particulièrement marquant en termes d’investissement au travers du dirigisme étatique de Xi Jinping. Parmi les secteurs économiques où cette emprise est maintenue, voire accrue, on retrouve la Recherche et Développement et la transition énergétique, deux secteurs bénéficiant d’investissements massifs, non sans un certain succès.

Entre 2006 et 2007, les montants consacrés à la R&D ont augmenté de 7,3 % aux États-Unis contre 29 % en Chine (8). De 1995 à 2005, le nombre de brevets domestiques déposés par la Chine a augmenté de 18,6 % par an. Le Rapport de l’Unesco sur la science 2010 considère désormais la Chine comme le pays comptant le plus grand nombre de chercheurs au monde : 1,6 million en 2008 contre 695 000 en 2000. Les répercussions sont évidentes dans le domaine des technologies vertes. La Chine est devenue le premier producteur mondial d’ampoules à basse consommation, d’éoliennes, de panneaux solaires, de chauffe-eaux solaires (60 % du marché mondial), de batteries pour voitures électriques (9). Entre 1998 et 2003, près de 6 % des inventions relatives au climat (le ciment, la géothermie, le solaire, l’hydroélectricité, le méthane) sont attribuables à la Chine. En 2009, elle a investi 34 milliards de dollars dans les technologies propres tandis que les États-Unis ne leur consacraient que 18,6 milliards. Le chiffre aurait atteint 51 milliards de dollars en 2010 et continue à croître avec 132,6 Milliards en 2017 (soit 40% du total Mondial) (10) (Figure 1).

Figure 1 - Le chiffre aurait atteint 51 milliards de dollars en 2010 et continue à croître avec 132,6 Milliards en 2017 (soit 40% du total Mondial)

L’influence de l’Etat chinois sur le yuan dans la guerre commerciale sino-américaine 

Les relations sino-américaines se sont fortement tendues ces derniers mois dans le contexte de conflit commercial. En effet, en janvier 2018, Donald Trump a entamé une guerre commerciale en mettant en place un plan sur 4 ans afin d’augmenter les tarifs douaniers sur certains produits chinois. A ce jour, 10 à 25% de droits de douane sont dorénavant imposés sur certains produits importés de Chine, soit 200 milliards de dollars. Toutefois, le président américain a récemment annoncé que les taxes seraient encore relevées menançant 325 milliards d'importation de plus (11). Dans un tel contexte, Pékin réplique par une arme protectionniste redoutable : la dévaluation compétitive du yuan. Cet instrument démontre le poids des décisions politiques sur l’économie chinoise. Au-delà d’une simple hausse des taxes sur les produits américains, Xi Jinping a décidé de répondre à la guerre commerciale par une guerre monétaire.

La Banque Populaire de Chine (BPC) contrôle en effet étroitement le yuan : quotidiennement, celui-ci fluctue selon un taux pivot (arrimé à plusieurs devises) et dans une fourchette de 2%. Le poids de l’Etat chinois sur la politique monétaire est d’autant plus fort que le président de la BPC est nommé par le Premier ministre et approuvé par l’Assemblée nationale populaire. Conformément aux volontés politiques, la BPC a ainsi déprécié le yuan de 5,7% par rapport au dollar entre juin et août 2018 (Figure 2). Accusant la Chine de concurrence déloyale, cette perte de valeur a été violente pour les Américains alors que le dollar s’appréciait. Par la guerre monétaire, le gouvernement chinois espère remobiliser les entreprises chinoises affectées par la montée des droits de douane en jouant sur leur compétitivité en termes de prix. Sachant que 70% des factures des exportateurs chinois sont libellées en dollars, cette politique de Pékin a été un véritable plus pour toutes les entreprises exportatrices. En parallèle, cette dépréciation permet de freiner les importations des Etats Unis vers la Chine. Toutefois, cette intervention de l’Etat en faveur d’une dépréciation est une stratégie risquée pour la Chine dans la mesure où une baisse continue du yuan pourrait créer une incertitude préjudiciable à l’économie. Celle-ci pourrait à terme entamer la confiance des investisseurs étrangers dans l’achat d’actifs libellés en yuan. De même, cela rehausse les coûts de production pour les entreprises importatrices et décourage une consommation déjà affaiblie. Enfin, les entreprises chinoises endettées en dollar augmentent corrélativement leurs dettes. Ces risques ont par conséquent incité l’Etat à entreprendre des discussions avec le président américain afin de prévenir une escalade des tensions. Pour sa part, la Chine a notamment réduit ses droits de douane sur une partie des produits américains. Toutefois, la mesure la plus significative est la loi sur les investissements étrangers qui garantit un non transfert de technologie des Investissements Direct Etranger (IDE).

Figure 2- Conformément aux volontés politiques, la BPC a ainsi déprécié le yuan de 5,7% par rapport au dollar entre Juin et Août 2018. Accusant la Chine de concurrence déloyale, cette perte de valeur a été violente pour les Américains alors que le dollar s’appréciait

Les IDE sortants se déploient sous la houlette des autorités chinoises à des fins politiques

Ainsi, alors que les IDE chinois étaient quasiment inexistants en 2000, depuis 2004, ceux-ci ont considérablement augmenté. En 2018, c’est ainsi que la Chine est devenue le deuxième pays le plus important au monde en termes d’IDE sortants. Sachant qu’ils ont augmenté de 27,2% depuis 10 ans, les investissements chinois représentaient en effet 9,9% des IDE en 2018 (Figure 3). Ce fort engouement chinois pour les IDE a bouleversé l’économie mondiale. Ainsi, le déploiement des IDE chinois constitue l’une des composantes principales de la nouvelle stratégie économique de Pékin (12). Effectivement, devant faire face à des goulots d’étranglement affectant son développement économique, l’Etat encourage les entreprises à investir à l’étranger, comme l’affirmait un rapport du Ministère du Commerce chinois en 2016. La Chine se confronte ainsi, depuis quelques années, à des surcapacités de production, à une faiblesse de la demande intérieure, à une consommation croissante des matières premières et des ressources énergétiques. Un haut responsable du Ministère du Commerce, Zhang Xiangchen, affirme par conséquent la nécessité que les entreprises chinoises recourent aux ressources et aux marchés étrangers pour se moderniser. Les économistes Jolly et Belloc distinguent de cette façon les IDE géopolitiques de la Chine et estiment que les IDE sortants permettent aux autorités chinoises de sécuriser les approvisionnements en ressources dont la Chine est insuffisamment dotée (13). Plus globalement, le Président Xi plaide pour un déploiement des IDE sortants afin de créer des fleurons nationaux compétitifs à l’échelle mondiale dans le contexte des Nouvelles Routes de la Soie. Ce projet titanesque, qui permettrait à Pékin de s’imposer dans la gouvernance mondiale, envisage d'étendre un vaste réseau de voies reliant la Chine à l'Europe occidentale et à l’Afrique de l’Est en passant par l'Asie centrale et la péninsule indochinoise.

Figure 3 - En 2018, c’est ainsi que la Chine est devenue le deuxième pays le plus important au monde en termes d’IDE sortants. Sachant qu’ils ont augmenté de 27,2% depuis 10 ans, les investissements chinois représentaient en effet 9,9% des IDE en 2018

Dans ce contexte, les entreprises publiques seront aux avants poste sur ces nouveaux marchés et devraient bénéficier d’un financement facilité des grandes banques publiques chinoises. Par ailleurs, des mécanismes déjà mis en place par le passé par l’Etat devraient être de nouveau sollicités. Nous pouvons notamment relever l’exemple du fond d’Etat CIC, créé en 2007, qui draine l’épargne nationale et l’investissement vers les IDE. Le CIC a ainsi permis à ChemChina en 2016 de racheter le groupe suisse Syngenta pour 43 milliards de dollars. De même, c’est à partir de 2008 que les banques commerciales ont été autorisées à prêter de l’argent à des entreprises chinoises pour le financement de leurs fusions et acquisitions à l’étranger.

A l’inverse, si le discours officiel de Xi Jinping affirme viser un « développement mutuel des peuples », de nombreux dirigeants déplorent un manque de réciprocité pour les IDE entrants en Chine. Ainsi, celle-ci est accusée de complexifier les démarches administratives, de peu protéger leurs droits de propriété intellectuelle et d’établir des mesures protectionnistes. La Chine semble pourtant, depuis quelques années, chercher à s’ouvrir : en 2017, elle a ainsi réactualisé la liste des interdictions pour les IDE entrants en supprimant 27 des 122 secteurs interdits contenus dans la liste de 2015.

Le recul ou la résurgence de l’Etat : quel impact sur la croissance économique ?

Loin des années fastes de croissance à plus de 10%, la Chine a enregistré en 2018 une croissance à 6,8% (Figure 4). Certains économistes se questionnent ainsi sur une fin possible du « miracle chinois ». Alors que l’empire du milieu semble poursuivre sa politique de libéralisation et de privatisation de l’économie depuis les années 2000, le modèle économique encore fondé sur le surinvestissement étatique semble s’essouffler. En effet, si l’on suit la grille d’analyse des économistes comme Keyu Jin ou encore Zhang Jun, le surinvestissement dans les entreprises publiques ne favorise pas toujours le développement d’entreprises privées plus compétitives. De plus, la Chine qui dépend encore en grande partie de ses exportations, souffre aujourd’hui de la baisse de la demande mondiale.

Figure 4 - Loin des années fastes de croissance à plus de 10%, la Chine a enregistré en 2018 une croissance à 6,8%. Certains économistes se questionnent ainsi sur une fin possible du « miracle chinois».

Cependant force est de constater que l’interventionnisme économique s’inscrit également dans une dynamique économique de long terme. La première place qu’occupe déjà la Chine dans les secteurs des énergies renouvelables ainsi que les débouchés futurs des routes de la soie permettent d’envisager des profits futurs. De plus, des réformes sont entreprises afin d’améliorer la qualité des investissements en vue de sécuriser les voies d’approvisionnement. En interne comme en externe, cela se traduit par des investissements dans des secteurs émergents tels que les énergies renouvelables ou les technologies de pointe. Toutefois, cette intervention dans l’économie se fait avant tout aux bénéfices des entreprises privées qui occupent une place croissante. Les entreprises tendent dès lors à se tourner vers la demande intérieure afin de réduire la dépendance vis-à-vis de l’extérieur.

(1) Jean-François Huchet. La politique industrielle en Chine : grandeur et limites du renouveau de l’État chinois. Revue française d’administration publique, ENA, 2014.

(2) The Economist, Pocket World in Figures, 2010 Edition (2009) et 2011 Edition (2010), Londres, Profile Books, p. 63

(3) « L’environnement au cœur du 13e plan quinquennal chinois, compte éco 2 », https://www.compteco2.com/article/lenvironnement-coeur-13eme-plan-quinquennal-chinois/

(4) « Chine : la croissance économique tombe au plus bas depuis 9 ans », https://www.lepoint.fr/economie/chine-la-croissance-economique-tombe-au-plus-bas-depuis-9-ans-19-10-2018-2264105_28.php , Le Point économie, 19 octobre 2018.

(5) INSEE, note de conjoncture, La Chine ralentit, quels risques pour l’économie mondiale ?, Dorian Roucher, département de Conjoncture et Bei

(6) Les Echos, Le rôle de l’Etat dans l’économie chinoise atteint ses limites, Gabriel Grésillon, publié le 08/07/2011, https://www.lesechos.fr/08/07/2011/LesEchos/20970-506-ECH_--le-role-de-l-etat-dans-l-economie-chinoise-atteint-ses-limites--.htm

(7)Violeta Campos, https://major-prepa.com/geopolitique/les-mutations-de-leconomie-chinoise/, MajorPrépa, 15 janvier 2019,

(8) Coface, Etudes économiques et risques, Chine https://www.coface.com/fr/Etudes-economiques-et-risque-pays/Chine

(9) Jean-Paul Maréchal, « La Chine prend-elle tout le monde de vitesse ? », https://www.revue-projet.com/articles/2012-1-ecologie-la-chine-prend-elle-tout-le-monde-de-vitesse, 8 février 2012.

(10) Selon Bloomberg New Energy Finance, les investissements chinois dans les énergies propres se sont élevés à 132,6 milliards de dollars (114 milliards d’euros) en 2017, représentant près de 40 % du total mondial.

(11) https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/05/05/apres-une-treve-donald-trump-releve-les-taxes-douanieres-sur-les-produits-chinois_5458546_3234.html

(12)Dominique Joll, Bernard Belloc. « Investissements chinois sortant de Chine : quelles en sont les motivations ? », Annales des Mines - Gérer et comprendre, vol. 124, no. 2, 2016, pp. 5-13

(13) https://www.lesechos.fr/22/09/2016/lesechos.fr/0211316194558_la-chine-a-plus-investi-a-letranger-qu-elle-n-a-accueilli-d-investissements.htma