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COVID - La crise sanitaire ne doit pas cacher la crise climatique

| Thibaud Voïta, Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy

25 mars 2020

« A tout malheur quelque chose est bon » : c’est ce que pensent certains activistes climatiques en voyant que les drastiques mesures de confinement adoptées dans de nombreux pays gros émetteurs de CO2 à cause de la pandémie du COVID-19. Celles-ci ont, en effet, entraîné un ralentissement des émissions de gaz à effet de serre. Faut-il donc s’en réjouir pour le climat ? Probablement pas. Les conséquences de cette crise sur la lutte contre le changement climatique restent - pour le mieux - imprévisibles et - au pire - désastreuses. Elles rendent l’Accord de Paris sur le climat, signé à la COP21 en 2015, plus fragile que jamais.

La récession crée une illusion sur la réalité de nos budgets carbone

De fait, la crise sanitaire que le monde connaît actuellement est aussi une crise économique. Nombre d’usines sont à l’arrêt, les transports sont - pour le mieux - ralentis, les gens forcés de rester chez soi. On s’attend à des faillites de compagnies aériennes et d’entreprises pétrolières, déjà fragilisées par la chute des prix du baril. Il est encore trop tôt pour connaître les conséquences exactes de la récession en matière de gaz à effet de serre ; mais on peut d’ores et déjà prédire une forte réduction des émissions pendant ce début d’année. Plusieurs observateurs ont déjà noté une impressionnante amélioration de la qualité de l’air dans le ciel chinois, tandis que la crise actuelle pourrait permettre à l’Allemagne de dépasser son objectif de 40 % de réduction de gaz à effet de serre en 2020, par rapport au niveau de 1990. 

Et pourtant, à l’horizon, les nuages s’accumulent et menacent les récents, et maigres, progrès en matière de changement climatique.

D’abord parce que le ralentissement est conjoncturel : il est le résultat de mesures ponctuelles visant à ralentir la propagation d’un virus. En aucune cas nous n’assistons à une accélération de la transformation de l’appareil productif ou à une volonté des Etats de mettre un frein à leurs émissions. Certes, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) annonçait récemment qu’en 2019, les émissions liées à l’énergie avaient plafonné. Ce signal, très positif, traduirait - entre autres - une accélération de la transition énergétique dans certains pays. Malheureusement, la crise du COVID-19 pourrait venir mettre à mal ces éléments positifs. Ainsi, Fatih Birol, qui dirige l’AIE, le répète depuis quelques jours : « la relance économique à venir doit passer par une green deal ». Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a aussi rappelé que le virus ne devait pas faire oublier l’urgence climatique

Cette crise pourrait de fait constituer une opportunité d’accélérer les investissements dans les énergies vertes, ce qui pourrait permettre au monde de revenir sur des trajectoires d’émissions permettant de limiter le réchauffement à + 2°C (les + 1,5°C espérés dans l’Accord de Paris semblent malheureusement de moins en moins réalistes).

La relance économique pourrait oblitérer la transition écologique

Et pourtant, la couleur de la relance économique risque d’être plus marron que verte, comme cela a malheureusement le cas par le passé. Il faut ainsi s’attendre à ce que les marges de manœuvre fiscales des Etats soient réduites et consacrées à lutte contre le virus et à la relance l’économie. La chute du prix du pétrole rend en outre les alternatives énergétiques plus vertes moins compétitives. Enfin, l’attention de l’électorat est, pour l’instant du moins, tourné vers le virus et la crise et non vers le climat. Ce d’autant plus que les mesures de confinement adoptées par de nombreux pays rendent l’activisme climatique moins visible et plus difficile

Premier pays touché par le virus, la Chine ouvre la danse. En 2009, déjà, Pékin avait lancé un plan de relance massif qui avait entraîné une accélération des investissements dans l’industrie lourde par les gouvernements locaux et avait eu des effets désastreux sur les objectifs verts du plan quinquennal d’alors. Plus de dix ans après, on risque de voir se rejouer le même scénario. Dès mars 2020, Pékin a assoupli les restrictions en matière de constructions de centrales à charbon. D’après l’étude conduite par Marc Velinski pour l’IFRI (« China’s Ambiguous Positions on Climate and Coal »), ces nouvelles restrictions permettent l’addition de 34 GW de nouvelles capacités, soit plus que celles de la Pologne, qui viendraient s’ajouter aux 259 GW (l’équivalent de la capacité américaine) en construction et aux 993 GW en opération. Est-il nécessaire de la préciser que de tels plans éloignent encore un peu plus les espoirs de réalisation des objectifs de la COP 21… 

Autre possible victime du Covid-19, le Green Deal européen. Il risque fort d’être retardé pour mettre la priorité sur la relance économique. La République tchèque a même réclamé son abandon. La Pologne demande, au nom du ralentissement économique, un assouplissement du marché carbone européen. Rappelons que Varsovie cherche régulièrement à rabaisser les objectifs climat de la Commission européenne. En France, pour finir, l’Assemblée nationale vient de rejeter un amendement visant à un après-crise plus durable.

La pandémie fragilise directement les négociations climatiques internationales

Enfin, la prochaine conférence sur le climat des Nations unies - la COP 26 qui devait se tenir à Glasgow - pourrait aussi ajouter son nom à la liste des victimes collatérales du virus. Lors de cette conférence, les Etats doivent présenter leurs nouvelles stratégies climat à court terme (2025) et long terme (2050). Ces nouveaux plans doivent inclure des objectifs plus ambitieux car notre trajectoire globale n’est pas donne. Cette COP constitue donc un test pour l’Accord de Paris. Sans remise à niveau des ambitions climatiques à cette occasion, ce dernier deviendra une chimère inutile. 

Le virus a déjà entraîné l’annulation ou le report sine die de plusieurs réunions internationales. A commencer par la semaine africaine pour le climat qui devait avoir lieu à Kampala en avril. Les principales puissances carbone appellent déjà à un report de la COP 26. En effet, la plupart des pays en développement - mais aussi des émergents - ont demandé l’appui des bailleurs de fonds internationaux pour travailler sur leurs stratégies climat. La crise du COVID-19 vient très fortement perturber ce processus et pourrait avoir pour conséquence de reléguer le climat en bas de la liste des priorités politiques des pays. Le virus pourrait aussi constituer une excuse rêvée pour certains Etats qui ne prévoient de rehausser leurs ambitions. Le risque est grand de voir de nombreux pays du G20 ne pas soumettre de nouveaux plan climat. Sans parler des Etats-Unis, on peut penser au Brésil, au Japon, à l’Arabie Saoudite, à l’Australie, etc. Ce qui nous éloignerait encore plus des objectifs de l’Accord de Paris. 

Le monde d’après ? 

Certains se réjouissent d’une mobilisation internationale contre le COVID-19, qui pourrait, par ricochet, entraîner une prise de conscience climatique. On peut aussi imaginer que les bouleversements quotidiens entraînés par le confinement que vivent plusieurs pays soient suivis de l’adoption de modes de vie plus respectueux de l’environnement. Beaucoup de messages vont d’ailleurs dans ce sens. D’Attac, à Nicolas Hulot en passant par Philippe Zaouati, P-DG de fonds à impact Mirova. Ils appellent à des transformations pour un monde plus durable, par exemple à travers l’initiative « Construisons le monde d’après ». 

Plus pragmatiquement enfin, il y a ceux aussi qui parient sur le report de la COP après les élections présidentielles aux Etats-Unis : si Donald Trump perdait, cela permettrait aux Etats-Unis de revenir à la table des négociations et de convaincre des pays tels que la Chine, le Japon ou l’Australie d’accélérer leurs ambitions.

Les propos tenus ici n'engagent que leur auteur.