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COVID : la finance nous indique une porte de sortie verte

| Juliette Kirscher-Luciani, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy

11 septembre 2020

La crise de la Covid-19, avec le confinement, a complexifié encore l’équation entre économie et écologie : comment relancer les économies tout en accélérant la transition écologique, dans un contexte de prix bas pour les matières premières ? La finance est-elle un levier d’action ? Comment réorienter les comportements des acteurs, entre opportunités sur les marchés et attentes des acteurs économiques et régulation par le droit et les normes ? La nouvelle taxonomie européenne constitue-t-elle un possible tournant ? Faut-il mettre en place de nouvelles incitations, remettre en jeu les principes du libre-échange ? Comment éviter le
« greenwashing » ?

Après la crise de 2008, la perspective du développement d’une finance verte a été éludée. En 2020, le bouleversement systémique provoqué par la Covid-19 révèle la nécessité de refonder une économie plus égalitaire, reposant sur un système financier durable. Ce besoin doit également prendre en considération les enjeux sociaux et la biodiversité. Sans provoquer de rupture brusque, ce changement de paradigme économique a accéléré un mouvement déjà lancé, et incite aux questionnements.

Si des études ont montré que les investissements responsables ont mieux résisté à la crise, ils demeurent pourtant minoritaires. Les financements de projets véritablement éco-responsables et durables ne sont pas classés dans une catégorie d’actifs verts précise, facilement identifiable. Alors que l’on parle de « refonte » de l’économie, qu’est-ce que la finance verte ? Serait-elle la porte de sortie à la crise de la COVID 19 ?

Un secteur de niche

La finance verte et la finance durable souffrent d’un manque de définition des standards, ce qui complexifie grandement sa compréhension. Quels en sont les critères ? Quels outils développer et comment les évaluer ?

Il y a différents degrés d’intégration de la finance durable. Certains indicateurs, comme les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) fonctionnent comme des filtres, applicables à tout type d’investissement. Ils permettent d'analyser, mais ne constituent pas un placement véritablement responsable. On les distingue des investissements socialement responsables (ISR). Ceux-ci sont établis selon des critères extra-financiers (environnementaux, sociaux, éthiques ou ayant trait à la gouvernance) qui répondent aux objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies.

Les premiers outils financiers verts sont relativement récents, à l’initiative des gouvernements et des banques centrales à travers l’Europe. Les premiers « Climate Awareness Bond » (« obligations climatiquement responsables ») sont émis par la Banque européenne d'investissement (BEI) en juillet 2007. Concernant les outils d'analyse, les « Green Bond Principles » (« principes des obligations vertes ») ont été rédigés en 2013 par 4 grandes banques internationales pour guider les investisseurs. Toutefois, ces indicateurs se confrontent au défi de la diversification. Aujourd’hui, le marché des « obligations vertes » s’est ramifié en sous-ensembles. La plupart sont dédiées au climat, mais aussi aux enjeux sociaux et à la santé comme les « Covid-19 Response Bonds » émis par la Banque Nordique d’Investissement (BIN) en mars 2020.

Malgré ce qui semble être une prise de conscience, la finance durable est encore loin de devenir un modèle financier structurant. Deux raisons principales expliquent cela.

Premièrement, la finance durable, entendue comme sociale et écologique, est encore embryonnaire. Ses outils, en développement, ne sont pas encore reconnus comme comparables avec les équivalents classiques. Le secteur est en phase de normalisation, vers une définition crédible et commune des actifs « durables ». Si cela est nécessaire, c’est pour éviter l’écueil du « greenwashing » : il ne s’agit pas de verdir la finance en superficie, mais d'y adjoindre de véritables efforts structurants.

Deuxièmement, s’il est possible de financer des projets durables par un financement non vert, un outil financier vert peut s’avérer inutile s’il n’est pas fléché correctement. Dans un article paru en avril 2019 « L’obligation verte: homéopathie ou incantation ? », Ivar Ekeland et Julien Lefournier vont même jusqu’à énoncer qu’une obligation classique et une obligation verte sont en réalité le même produit. Dès lors, une obligation verte, tout comme n’importe quel autre outil financier labellisé vert, n’est pas une fin en soi. Émettre et racheter de telles obligations permet uniquement de spéculer, mais sans créer une dette sur des produits respectueux de l’environnement. Ce qui a de la valeur dans ce processus est l’utilité réelle de l’argent investi. Plus il y a d’actifs placés dans des produits ou des secteurs “verts”, comme l’immobilier ou la rénovation thermique, plus la valeur augmente. D'où l'importance de vérifier la destination de l'argent.

En conclusion, le verdissement de la finance est limité par son manque d’audience. En France par exemple, pays pionnier en matière d’obligations vertes, seul 0,2 % de l’endettement est vert. C’est seulement quand la finance durable sera majoritaire, que nous serons en mesure d’évaluer l’importance des différences de capacités d’endettement et de coût de financement.

Quelle comptabilité pour la finance verte ?

Garantir la pérennité de la finance durable à l’international passe par deux éléments : la comptabilité et un meilleur fléchage des indicateurs. Actuellement, les portefeuilles reposent sur des risques, avec des impacts positifs ou négatifs sur le réchauffement climatique en fonction du rendement. Pour avoir une structuration saine et claire des investissements, alignée sur des enjeux collectifs, il faut disposer d’outils comptables qui puissent structurer les comptes en lien avec les objectifs environnementaux. Sans cela, ces produits et outils ne pourront être attractifs pour les investisseurs.

Au regard de la comptabilité, la diversité des indicateurs aboutit parfois, malgré des analyses valides, à des contradictions. Bénéficier d’une pluralité d’indicateurs dans l’entreprise est essentiel : tous ont leur importance. Néanmoins, un équilibre est indispensable entre quantité et lisibilité. D’un côté, en dehors des indicateurs environnementaux, les indicateurs sociaux ou liés à la biodiversité sont peu développés. Ils sont pourtant étroitement liées aux enjeux climatiques et sanitaires. D’un autre côté, une trop grande pluralité aurait pour conséquence de rendre caduc tout système de notation, au risque qu’il ne reflète pas la réalité et qu’il soit incompréhensible. La comptabilité et l’analyse précise de ces indicateurs est sûrement la condition sine qua non pour atteindre un réel système de finance durable.

En outre, il importe de prendre en compte les externalités des investissements. Les conséquences extérieures au secteur financier, sans indicateurs universels, sont pour le moment laissées à l’appréciation des compagnies. De nombreux témoignages font état d’analyses qui laissent le soin à l’investisseur d’utiliser, ou non, les données fournies. Or, les œillères de la rentabilité entravent ce qui est au fondement d’un système durable, la solvabilité. Pour étendre la solvabilité financière sociale et environnementale, il faut donc une analyse plus fine qui aille jusqu’à poser la question de la part de profit et de la part de dette. Si nous sommes capables d’assurer des performances, n’y a t-il pas pour autant de la dette dissimulée ? N’est-on pas dans une finance qui, sans s’en rendre compte, est en train de créer une gigantesque « dette climatique » ?

Convaincre les acteurs

Pour limiter ces dangers avant qu’il ne soit trop tard, il faut convaincre les acteurs qu’une finance verte et durable est impérative. Encore s’agit-il de savoir comment s’y prendre.

Une approche serait celle du risque. Faut-il persuader les investisseurs que le réchauffement climatique, les inégalités sociales et économiques sont des risques financiers à long-terme ? Cette démarche aurait certainement un effet de levier, susceptible d’accélérer la mise en place d’une finance durable. Cependant, cela pourrait également donner lieu à une logique de rendement, susceptible d’accroître la déconnexion de l’économie et des enjeux écologiques réels.

En matière de législation, la loi sur la transition énergétique, et particulièrement son article 173, est une innovation de premier ordre pour l’investissement responsable. Il définit l’obligation pour les investisseurs institutionnels de communiquer sur leur gestion du risque climat, notamment sur l'impact carbone de leurs portefeuilles. Ils doivent donc, théoriquement, en faire un audit exhaustif. Toutefois, il apparaît que seule la moitié des grands investisseurs dévoile des informations complètes à ce sujet.

Une réponse européenne, harmonieuse, serait idéale. La difficulté principale, toutefois, est d’établir un cadre de référence tout en maintenant un certain niveau de concurrence libre. La réussite du label bio européen est intéressante à ce regard. Il montre que l’Union est capable d’innover de créer un label commun, adapté à tous les pays qui la compose. Appliqué à la finance verte, ce projet prendrait la forme d’une taxonomie commune, construite pour accompagner la mise en place d’un budget vers l’économie verte. En donnant aux investisseurs un cadre de référence continental, ils pourront amplifier l’impact de ces outils sur le marché, et leur accorder leur confiance. C’est en ce sens que la finance pourrait contribuer à faire de l’écologie le « nouvel aiguillon européen ».

De plus, l’Europe possède une profondeur de marché permettant d’éviter de possibles bulles financières. Des rapports établis en avril 2020 montrent que le taux d’épargne au niveau européen est en augmentation. L’épargne privée est plus massive que tous les financements verts, ou alloués à la transition énergétique. La question des épargnants est par conséquent devenue un levier important pour les financements de demain, dans la perspective de créer un marché soutenable à long terme.

L’exemple de mise en place pourrait venir de la France. La loi PACTE prouve l’efficacité d’une « blended finance », où l’utilisation de fonds de développement orientés vers des causes durables permet un effet levier sur l’argent privé. Résultant d’une co-construction entre les secteurs publics et privés, cette loi a pour objectif de guider l’épargne sur la finance durable. Avec ou sans la Covid, il s'agit d'une opportunité au regard des enjeux sociaux, climatiques et énergétiques. Une impulsion des États, des gouvernements et des organisations internationales doit permettre la naissance d'un tel dispositif à l’échelle européenne. Néanmoins, la prochaine COP26, qui aura lieu au Royaume-Uni en 2021, semble une échéance bien lointaine pour revoir à la hausse les engagements des États européens.

Bruno Le Maire, ministre de l'Economie à l'origine de la loi PACTE durant le gouvernement d'Edouard Philippe

Se demander si la finance durable est une porte de sortie à la crise sanitaire revient finalement à s'interroger sur l’avenir de la finance. Si la nécessité de prendre en compte des indicateurs écologiques n'est pas nouvelle, la crise sanitaire a souligné l’importance de la finance durable. Réguler ne doit pas être synonyme d’une accumulation de contraintes. Tout l’enjeu sera donc de construire un modèle financier solvable et durable pour aboutir à la restructuration du système via la comptabilité et la crédibilité de ses indicateurs. Pour l’atteindre, tous les secteurs devront faire des efforts, et ce, au niveau national et européen. Ce modèle doit se décliner dans tous les plans de relance, pour devenir une partie intégrante de nos sociétés. En résumé, la finance sera durable ou ne sera pas.