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COVID-19 - Quelle réponse internationale aux menaces sur l’emploi ?

| Rémi Brineau

18 juin 2020

La crise de la Covid-19, sanitaire et économique, affecte également le travail et les emplois à travers le monde. Face aux velléités de repli sur soi de pays qui remettent en cause le système multilatéral, les organisations internationales comme l’OIT doivent plus que jamais apporter une réponse collective face à une crise qui menace plus de 300 millions d’emplois. Tout en prenant en compte les défis environnementaux à relever face à l’urgence climatique.

Selon l’Organisation Internationale du Travail - OIT, les mesures de confinement, partielles ou totales, ont affecté au 7 avril 2020 près de 2,7 milliards de travailleurs à travers le monde, soit environ 81 % de la main-d’oeuvre mondiale.

La Covid-19 ne remet pas seulement en cause nos modèles de santé, et donc le fonctionnement des organisations internationales qui œuvrent à la lutte contre la pandémie dans le domaine sanitaire. Elle remet également en cause nos modèles économiques et la manière dont nous travaillons, que nos emplois soient maintenus, transformés en télétravail ou supprimés.

En premier lieu, il importe de revaloriser le travail, manuel ou non, et l’emploi, comme composante essentielle au sein de nos sociétés - les personnels soignants expriment notamment une demande forte de revalorisation professionnelle. Le télétravail est par ailleurs devenu en quelques jours la norme pour des millions de travailleurs : quelles transformations entraîne-t-il pour nos modèles d'organisation sociale ? Seront-elles durables ? La crise démontre également l’importance de renforcer la capacité de résilience de nos organisations, à court comme à long termes, face à la crise climatique dont l’urgence s’accroît encore. Enfin, cette crise a été l’occasion sinon le facteur de mouvements de repli : fermetures unilatérales de frontières, batailles autour des masques, invectives par réseaux sociaux interposés, etc. Ces tensions remettent en cause l’essence même du multilatéralisme. Quel rôle pour les organisation internationales, notamment l’OIT, dans cette réponse sociale et environnementale à construire face à la pandémie ?

L’OIT face aux défis de l’emploi

L’Organisation mondiale de la Santé comme l’OIT ont été particulièrement sollicitées à l’occasion de cette crise aux multiples implications sanitaires, économiques, sociales ou environnementales. Mais cette mobilisation s’inscrit dans un contexte de fragilisation de ces organisations internationales : leur fonctionnement-même est remis en cause, en termes d’efficacité, de légitimité, voire de principe du multilatéralisme.

Le champ d’action de ces organisations internationales dépend en effet des mandats et moyens octroyés par leurs membres, et de leur capacité à rendre des comptes par rapport à ces engagements. Si ces organisations sont internationales, elles ne sont pas supra-nationales. Le 14 avril 2020, le Président américain Donald Trump a annoncé le gel de la contribution américaine à l’OMS (avant d’annoncer sa volonté de s’en retirer), sur fond de tensions avec la Chine et de critique d’un potentiel parti-pris pro-chinois de l’OMS. La contribution des Etats-Unis en 2019 représentait 22 % de son budget global. Néanmoins les Etats ne sont pas les seuls membres de l’OIT : organisations patronales et salariales y sont également représentées. Elles y négocient sur un pied d’égalité avec les Etats : ce tripartisme en action, inscrit dans la gouvernance de l’organisation, permet un dialogue social concret, informé des réalités du monde du travail.

Le mandat de l’OIT est normatif, et non effectif. Cette organisation internationale établit les normes internationales du travail, et contrôle régulièrement leur mise en oeuvre, mais elle n’a pas le pouvoir de l’imposer. Elle promeut le dialogue social tripartite comme outil, délivre un message, et c’est peut-être là sa force principale : l’information. Elle fournit une expertise économique quant à la situation de l’emploi, établit des projections en matière de chômage et d’emploi, et s’emploie à fournir une information fiable pour enrichir le débat public et politique. Elle fonctionne comme un observatoire des évolutions du monde du travail : elle aide les États et organisations à ajuster leurs politiques et stratégies.

L'agenda de l’OIT a évolué au regard de la pandémie de la Covid-19. En 2019, les regards étaient davantage tournés vers le travail (numérique, environnement, démographie, compétences) et ses évolutions que vers l’emploi. La question de l’emploi se retrouve aujourd’hui au centre de l’agenda de l’OIT, alors même que ce n’est pas son cœur de métier. Elle se trouve désormais en première ligne pour construire une réponse à ces nouvelles problématiques que soulève la crise de la Covid-19, notamment celle de la protection sociale.

La protection sociale pour tous

Si les enjeux d’emploi émergeaient avec difficulté sur la scène internationale, ils sont aujourd’hui au cœur des préoccupations de l’OIT. Dès 2012, l’OIT recommandait de « donne[r] une orientation aux Etats membres pour définir des systèmes de sécurité sociale complets et étendre la couverture de la sécurité sociale ». Le socle de protection sociale est l’enjeu clé mis en avant par la crise, alors que le confinement, partiel ou total, a mis à l’arrêt la plupart des économies, parfois structurellement fragiles notamment celles en grande partie informelles. L’OIT estime que la crise de la Covid-19 va entraîner la perte de l’équivalent de 305 millions d’emplois à temps plein à travers le monde au deuxième trimestre 2020.

L’interdépendance des enjeux de travail et d’emploi incite à développer une réponse globale et multilatérale en matière de protection sociale. L’OIT plaide, au travers de sa recommandation 202 de 2012, pour développer des systèmes de sécurité sociale « complets », et « accessibles à toutes les personnes dans le besoin » à travers le monde. Pour cela, elle préconise notamment « une sécurité élémentaire de revenu et des garanties de soins de santé essentiels, depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse ». Néanmoins, tous les Etats ne sont pas favorables à la mise en oeuvre d’un tel programme à l’échelle nationale. Pour des raisons politiques : aux États-Unis, le Président Donald Trump a démantelé l’Obamacare. Pour des raisons budgétaires dans des économies fragiles ou alors que les Etats peuvent privilégier le soutien à leurs entreprises dans un contexte budgétaire tendu. L’OIT travaille ainsi à établir des référentiels face aux remises en cause des droits fondamentaux au sein du monde du travail. Une bataille de longue haleine.

Penser à long terme les transformations

Si des transformations globales sont (rendues) nécessaires en matière de travail comme d’emploi, elles doivent être pensées à long terme : leur mise en oeuvre sera par nature progressive. L’ambition : les inscrire dans le temps court qu’impose la crise économique comme l’urgence climatique.

Si la crainte existe qu’environnement et croissance, activité économiques, soient irréconciliables, l’urgence climatique peut néanmoins générer des opportunités nouvelles, insoupçonnées ou méconnues, de développement. L’OIT, épaulée par le Bureau international du travail, son secrétariat permanent, a adopté dès 2007 une résolution sur les entreprises durables, en 2013 une résolution sur les emplois verts. La défense du travail et de l’emploi peut s’articuler de manière concrète avec les préoccupations environnementales.

Dans cette perspective, la sortie de crise, pour progressive qu’elle sera, peut constituer un moment clé pour l’ensemble des acteurs, Etats comme organisations internationales et entreprises, en rebattant les termes des équations. Investir de manière massive et stratégique pour une économie plus verte, et surtout verdir l’existant est plus important que jamais. Les chaînes d’approvisionnement ont été bouleversées par le confinement, la perturbation des économies et la réorientation d’un grand nombre de productions et de flux de consommation. Faut-il les verdir, privilégier des circuits courts ou des écosystèmes resserrés à l’échelle d’une région du monde, d’un pays, d’un territoire ? Si la réponse semble évidente face à l’urgence environnementale, elle éclaire d’une lumière crue les enjeux de la construction d’une protection sociale de qualité à travers le monde, et de la capacité de transformation des économies et marchés du travail pour ne pas fragiliser encore plus les plus fragiles.

L’OIT inscrit son action dans une interdépendance majeure des enjeux, de l’amélioration des conditions de travail au développement d’une protection sociale de qualité, et au verdissement du monde du travail afin de renforcer sa capacité de résilience. Le moment est fécond pour cette organisation internationale afin de faire émerger aux niveaux local et global les réponses aux conséquences sociales et environnementales de la crise.