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COVID : et maintenant, la crise sociale

| Arno Fontaine, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy

10 juillet 2020

La crise du coronavirus est venue ébranler les économies du monde entier. Celle-ci a poussé les Etats à mettre en place des restrictions plus ou moins contraignantes pour limiter la propagation l’épidémie. Leurs conséquences économiques se sont fait durement sentir : contraction du PIB de l’ordre de 5,3 % en France au premier trimestre, perte d’activité attendue à hauteur de 17 % au deuxième d’après l’Insee. En dépit du bon rattrapage qui a suivi, cet impact va laisser des traces dans les années qui viennent.

L’endettement des entreprises devrait mener à des effets néfastes sur la demande privée et sur la consommation des ménages en raison de la détérioration du marché du travail et de faibles investissements. L’épargne des ménages sera touchée et l’inflation devrait remonter progressivement. La défiance et le risque populiste grandissent en France comme en Europe, alors quelle forme prendra la crise sociale induite par cette crise économique ? Décryptage.

Le surendettement des entreprises est le premier risque économique pour 2021

La première conséquence de cette crise, c’est que les entreprises se sont fortement endettées en raison de l’arrêt de la production et de l’absence de recettes pendant plus de deux mois. Celles-ci ont alors compensé la baisse de leur chiffre d’affaire par le financement bancaire afin de faire face à leurs coûts fixes. Les crédits de trésorerie ont atteint environ 26 milliards d’euros en France, avec des taux d’intérêts très bas et avec des conditions de remboursement très généreuses.

Les effets d’un fort endettement pour les entreprises sont immédiats. Lorsqu’une entreprise doit rembourser des créances, elle cherche à se débarrasser de toutes les dépenses non-essentielles pour son activité. Celle-ci cherche alors à réduire ses investissements et à geler les embauches (voire à recourir aux licenciements).

Ce phénomène était très clair lors de la crise de 2008. Dans les mois qui ont suivi la crise financière, la dette des entreprises avait très fortement augmenté afin de faire face aux différents coûts auxquelles elles étaient confrontées. Face à l’augmentation de la dette financière et afin de faciliter le remboursement, les entreprises ont décidé de mettre en place des économies internes, à travers la réduction des investissements et des effectifs, comme le montre le graphique ci-dessous. Les entreprises ont alors également décidé de limiter leur accès au crédit qui n’a repris que très lentement dans les années qui ont suivies.

Au-delà de la précarité accrue, le pouvoir d’achat sera un source universelle de tensions

Après la crise, l’objectif des entreprises sera donc de regagner des marges de manoeuvre afin de pouvoir à nouveau produire et faire de nouvelles recettes. Parallèlement, jusqu’à l’apparition d’un vaccin ou d’un traitement efficace, les entreprises sont face à un recul de leur productivité en raison de règles sanitaires qui encadrent la non-propagation de l’épidémie. Les entreprises vont avoir comme objectif de redresser leur situation financière, conduisant à des plans d’économie, à des hausses des prix éventuelles et à des mesures fortes de réduction des coûts non-essentiels. Aussi, elles vont plaider en faveur d’un éventuel abandon des critères sociaux et environnementaux les plus contraignants.

En parallèle, l’opinion publique va être particulièrement sensible à l’évolution de l’environnement économique dans son ensemble. L’épargne des ménages, qui a fortement augmenté avec période de confinement (à travers de l’épargne forcée) pourrait se transformer en épargne de précaution si les signaux économiques et sanitaires ne sont pas encourageants. La crise de initialement de l’offre, pourrait se propager à la demande et un important écart entre les attentes des entreprises et des citoyens pourrait se créer.

Ici, le pouvoir d’achat des ménages deviendrait le nouveau facteur problématique pour l’économie. Cela est d’autant plus le cas que nous pouvons nous attendre à une légère remontée des prix de l’énergie et du pétrole, vis-à-vis de la reprise de la demande mondiale. Les opinions publiques attendraient, quant à eux, des hausses de salaire, un certain nombre de relocalisations d’activités stratégiques et d’un fort soutien du pouvoir d’achat pour recommencer à consommer. Des voix se soulèvent pour un changement ambitieux de mode de fonctionnement de l’économie capitaliste.

Nous avançons vers une société française de plus en plus polarisée

A l’issue de la crise, certains secteurs d’activité seront renforcés (technologie, logistique, santé, consommation alimentaire...). D’autres, en revanche, plus nombreux, seront perdants sur le court et le moyen terme (transport, biens d’équipement, biens intermédiaires tourisme, hôtellerie...).

Ce changement, qui interviendra au niveau des secteurs d’activité, conduira inévitablement à aggraver la polarisation du marché du travail et de la société. Alors que les cadres supérieurs ont été relativement épargnés par la crise économique (mise en place du télétravail, peu de pertes de revenus significatives), les professions les moins qualifiées et avec des contrats courts seront les plus touchées par les suppressions d’emplois, en particulier dans les secteurs les plus affectés. De nombreux emplois précaires et intermédiaires pourront ainsi disparaître.

Les conséquences de ce changement sectoriel seront, d’une part, une hausse des inégalités ainsi qu’une baisse de la mobilité sociale entre les différents salariés dans les différents secteurs. Cela viendra, de ce fait, polariser la société dans son ensemble. La détérioration du marché du travail conduira à des conséquences sociales dangereuses et à une éventuelle crise sociale entre gagnants et perdants de la crise du coronavirus.

Attention, vote massivement populiste en vue

S’il est compliqué de comprendre et d’expliquer pleinement le vote populiste, trois raisons majeures sont généralement considérées comme étant à l’origine de son apparition : la dimension économique et sociale (taux de chômage, perte de pouvoir d’achat, de confiance en l’avenir), la dimension politique (mauvaise représentation des élus et représentation d’une minorité de personnes) et culturelle (immigration, qu’est ce qu’être un citoyen de tel pays aujourd’hui ?). Si la crise actuelle n’amplifie pas la dimension culturelle du vote populiste, celle-ci accroît les dissensions économiques et politiques.

Tout d’abord, la perte de confiance après la crise du coronavirus a été palpable en France et est venue amplifier un sentiment déjà préexistant en termes de perte de confiance de l’exécutif. Différents sondages d’opinion nous ont montré que, parmi les pays européens, la France est celui, où la confiance dans le pouvoir du gouvernement et la perception de sa performance pendant la crise du coronavirus a été le plus faible (d’après le Conseil européen des relations internationales en juin 2020). En effet, 71% des personnes ont eu une mauvaise perception de la gestion de l’exécutif, contre 25 % en Allemagne ou 47 % en Italie.

En France, nous remarquons également que le niveau de chômage est très fortement corrélé avec le total des votes pour les partis populistes lors des élections législatives. Les raisons économiques du populisme ont, en France, une grande importance et permettent de comprendre le sentiment d’abandon et de désarroi des population. Lorsque le taux de chômage était au plus faible en 2007/2008, autour de 8 %, les résultats des élections législatives ont été particulièrement mauvais pour les partis populistes (4,3 % pour le Front National, 3,4 % pour l’extrême gauche). Au contraire, les populistes ont eu un total de 28,1 % aux élections législatives de 2017 alors que le taux de chômage était d’environ 10 %.

Les risques d’une crise sociale et d’un regain du vote populiste sont importants après la crise du coronavirus. Afin de préserver les revenus des ménages, de garantir un soutien pour les entreprises et d’éviter une crise sociale trop violente, les Etats se doivent de mettre en place des politiques publiques fortes, ambitieuses et coordonnées.

Ces politiques doivent, d’une part, permettre aux entreprises de récupérer des marges de manoeuvre pour pouvoir produire (baisse des impôts ? transformation de dettes en fonds propres ?), éviter une hausse du chômage trop massive et faciliter la reconversion professionnelle (baisse des cotisations sociales ? aides à l’embauche ? investissement dans la formation professionnelle ?).