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COVID - La désinformation : un virus en mutation

| Marie Chatenet

19 mai 2020

Guerre bactériologique, vaccin fabriqué dans un laboratoire de Wuhan… Le coronavirus transporte avec lui son lot de rumeurs et de « fake news ». Les enjeux entourant la désinformation étaient déjà présents avant la crise sanitaire, mais depuis son commencement, ils ont pris une autre tournure.

Le virus de la désinformation a muté, en même temps que le coronavirus. Pour l’OMS, les deux virus sont aussi préoccupants l’un que l’autre : les fausses nouvelles se transmettre comme traînée de poudre, par un simple clic sur le bouton « partager ». Les rumeurs vont bon train, et l’on peut déjà parier que viendra le jour où Internet répandra l’idée qu’un vaccin existait avant que l’épidémie ne deviennent une pandémie.

La désinformation traîne dans son sillage des problématiques aussi variées que complexes : enjeux de l’accès à l’information, recherche de faits avérés, vérités mouvantes… Ainsi questionnons-nous : existe-il un vaccin contre la désinformation ?

Quand les manipulations de l’information se développent

Scientifiquement, il existe une vérité, fondée des faits incontestables. Exemple : le virus du COVID-19 se transmet d’humain à humain. C’est incontestable. Seulement, avec le coronavirus, il existe foule de questions pour lesquelles nous n’avons pas – encore – de réponses. Le terrain est donc propice aux spéculations et les enjeux autour de « la » vérité sont complexes. Dans le cas du virus, celle vérité est mouvante : ce que l’on ignore encore le matin, ce qui est potentiellement contestable à un instant t, peut être une certitude le soir ; et inversement.

Le stade des hypothèses scientifiques n’est pas encore dépassé, ainsi comment pourrait l’être celui de l’information ? Derrière les enjeux de vérité se cachent également volontiers des enjeux idéologiques. Cette « guerre » de l’information, cette bataille de soft power peut avoir lieu entre deux États (on pense par exemple à la Chine et aux Etats-Unis) ou au sein d’un même pays. Derrière la quête de la vérité, nous trouvons les tentatives de manipulation d’une information. A ce point précis, les choses se complexifient. Manipulation n’est pas synonyme de fausse information. Une autorité (politique, médiatique…) peut choisir de marteler les mêmes informations, aussi vraies soient-elles, et en passer d’autres sous silence. Elle peut également choisir de faire parler des chiffres et des faits scientifiques d’une façon ou d’une autre. Voire d’utiliser des vérités bien établies pour faire passer de vrais mensonges. Présentés d’une certaine façon, il est possible d’attribuer des interprétations contradictoires à des mêmes faits avérés. On appelle cela la manipulation de l’opinion, et la difficulté qu’on peut avoir à la détecter la rend rapidement dangereuse.

Ainsi, à une crise sanitaire s’ajoute une crise de l’information et du soft power. Les « fake news » présentent de vrais dangers. Mais plus difficile encore que d’identifier les fausses nouvelles, c’est en faire valoir dans la société l’inexactitude.

Quand la défiance s’installe

Adhérer aux « fake news », défier les faits scientifiques, c’est dire non à l’information donnée par l’autorité en place. Nous ne parlons pas ici d’exercer son esprit critique ou de questionner les informations que l’on reçoit – qui sont a contrario des pratiques à privilégier – nous parlons ici du fait de considérer que chaque nouvelle relève d’un grand complot. Prétendre connaître une autre vérité, être en marge de la bien-pensance et des codes établis, ne pas vouloir se trouver dans la majorité à tout prix : cela revient à remettre en doute les informations données par les instances officielles, par les gouvernants. La défiance s’érige en sport national dans une société hyper-polarisée.

Ainsi faudrait-il trouver des mécanismes garantissant la fiabilité d’une donnée. Mais sélectionner certaines informations et les considérer comme vraies, revient à en laisser d’autres de côté. Nous le savons, choisir c’est renoncer. Et dans ce cas précis, cela rentre en contradiction avec la liberté d’expression. Illustrons notre propos : il n’est pas rare que les « intox » circulent de personnes à personnes par les messageries privées. La décision prise au début d’année 2019 par WhatsApp de limiter le transfert de message à 5 personnes ou groupes fait partie des stratégies possibles pour lutter contre la propagation de fausses rumeurs à grande échelle. Ici se trouve la contradiction. Empêcher la propagation de rumeurs, c’est s’immiscer dans la vie des gens ; et cela représente, pour certains, une grave atteinte à la vie privée.

Ainsi, pour lutter contre la désinformation, nous reste-il à chercher du côté du débat lui-même : comment en améliorer sa qualité ?

Quand la qualité du débat démocratique est en jeu

Les journalistes ont-ils des responsabilités à prendre pour assurer la qualité du débat ? La question se pose en termes similaires pour les « citoyens lambda ». Lutter pour une information de qualité : acte collectif ou acte d’une autorité centrale ? Plusieurs pistes de réflexion s’offrent à nous.

La première se trouverait du côté de « l’Open Data » : laisser toutes les informations en accès libres, pour permettre aux citoyens de se faire leur propre idée. Ici, nous contournons le problème de l’accès à l’information. Celle-ci est publique, chacun peut y accéder sans condition. Mais cela ouvre de nouveaux questionnements. Premièrement, tout le monde n’a pas le même niveau de compréhension dans tous les domaines. Le terrain de jeu démocratique est donc inégal. Ensuite, cela suppose que chacun fasse la démarche d’aller se faire sa propre idée. Envisageable - et même souhaitable - mais difficilement réalisable. En tous cas, pour que cette solution qui parie sur l’autonomie individuelle se développe, il faut miser sur le temps long, ce qui ne résout pas le problème à court terme.

Deuxième approche : l’éducation aux médias. Apprendre à tous les citoyens comment reconnaître une fausse nouvelle, comment reconnaître une source fiable, comment recouper une information. Mais, en plus du temps que cela prendrait, cette éducation pourrait être involontairement orientée, et facilement incomplète, tant les quantités d’informations auxquelles nous sommes confrontées sont vastes. L’idée est bonne, paraît intéressante à mettre en place, mais elle n’est malheureusement pas infaillible. En tous cas, pour qu’elle fonctionne, il faudrait que ce travail soit directement assuré par les professionnels de l’information et pas par l’Etat, pour désamorcer toute critique de censure.

Dernière approche qui se dégage : s’interroger sur le contenu de l’information. Notons d’emblée que la censure des « fausses informations » ne fait pas partie du champ des possibles dans une démocratie libérale ; et que le retrait contenu « néfaste » est une solution extrêmement dangereuse politiquement et coûteuse économique. Suivre cette voie reviendrait rapidement à contrôler la vie privée et nuire à la liberté d’expression. Plutôt que de s’interroger sur la manière de retirer du contenu manipulatoire, il s’agit plutôt de réfléchir la façon de favoriser des informations de qualité. Comme pour les aliments, il serait possible de créer une sorte de « label », d’étiquette, qui récompenserait le travail de fond, basé sur des faits solides incontestable sur lesquels il est possible de s’appuyer sans danger. A nouveau, cette solution ne peut pas reposer une labellisation d’Etat, mais sur des pratiques d’autorégulation par lesquels les professionnels des médias, qui disposent déjà de codes d’éthique, pourraient faire émerger les contenus à labelliser et aider les plateformes à les identifier de façon automatique.

La désinformation est un virus dans l’ère du temps dont il est difficile de se débarrasser. Les solutions qui s’offrent à nous pour le combattre sont critiquables et faillibles mais elles sont là. Le débat public démocratique permet de choisir une voie. Car, sans promesse d’un vaccin miracle, nous pouvons tout de même trouver un équilibre entre liberté d’expression et régulation de l’espace public digital, comme nous avons su le faire pour l’espace public physique au XXe siècle.