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Pourquoi le G7 nous a déçus sur les inégalités de destin

| Par Georges Dib, Fellow de l'Institut Open Diplomacy, Délégué français au Y7 en 2019

6 décembre 2019

Alors que s’achève la présidence française du G7 cette année, nous avons voulu faire le point sur ses avancées, ses angles morts : le G7 a-t-il répondu aux aspirations de la société civile dans la lutte contre les inégalités économiques ? Nous aurons l’occasion de revenir sur les autres thèmes traités par le G7 : inégalités entre les femmes et les hommes, face aux grandes disruptions technologiques ou aux conséquences du changement climatique. 

Quelques jours avant le G7, des officiels américains déploraient que le président Macron ait mis l’accent sur des “sujets niches” comme les inégalités, au lieu de créer les conditions nécessaires pour avancer sur les sujets du commerce mondial et de la croissance économique, thématiques traditionnelles des sommets du G7. 

Les groupes d’engagements de la société civile, dont le Y7 dédié aux générations futures, ont suivi de près le sommet. En amont, le Y7 a justement remis au Président de la République 116 recommandations sur la lutte contre les inégalités et lancé un appel à un G7 ambitieux.

Ces recommandations sont toutes sauf hors-sol : issues d’une consultation nationale sur tout le territoire, elles ont été travaillées avec les meilleurs experts du sujet et des négociations avec tous les jeunes du G7 ! Des engagements concrets ont-ils été pris par le G7 pour lutter contre les inégalités économiques comment le demande les jeunes ?

Le G7 et ses jeunes tombent d’accord sur les questions de développement

L’objectif de reconstituer le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme fixé par le G7 est atteint ! L’activisme du président Macron a payé, puisque les 14 milliards nécessaires ont été levés.

Autre bon point, les ministres des Finances du G7 ont posé de nouveaux principes le partenariat avec l’Afrique, très convergents avec les attentes des jeunes. La notion clé du G7 - “partnership of equals” (partenariat entre égaux) correspond à l’appel des jeunes à nouer des accords commerciaux “équilibrés et transparents” et à ce que les standards de financement “respectent la souveraineté nationale et les droits des travailleurs”. Cette convergence - qui n’est pas congruence - se retrouve aussi dans le détail.

1) L’initiative pour favoriser l’accès des femmes aux financements en Afrique (AFAWA) était très attendue

C’est une initiative conjointe de la Banque africaine de développement (BAD) et de l’African Guarantee Fund (AGF), sous forme de prêts à hauteur de 251 millions de dollars américains. 

C’est un pas dans la bonne direction puisqu’il devrait permettre de lever jusqu’à 5 milliards de dollars (dont un milliard de la BAD). Cela représenterait un effet de levier de 20 fois la mise initiale. A titre de comparaison, l’effet de levier du Plan Juncker en Union Européenne s’élève à 15. 

Attention toutefois, il faut remettre cet objectif de levée de fond en perspective de l’immense déficit de financement entre hommes et femmes entrepreneurs sur le continent : 42 milliards d’euros selon le président de la Banque Africaine de Développement. 

2) La transparence des marchés publics et la lutte conjointe contre la corruption sont bien présentes

Cet engagement du G7 correspond aux attentes du Y7. Les jeunes prônaient un accord sur des normes de financements avec les créanciers bilatéraux et multilatéraux des pays Africains et des autres pays émergents. On retrouve l’idée des normes notamment pour renforcer “la redevabilité et la viabilité de la dette”. 

Les jeunes craignent que le thème des inégalités ait servi de vernis “social”

Nous mettons en lumière les différences et points communs entre les recommandations du Y7 et celles du G7 à travers la comparaison de leurs champs lexicaux. Cela passe par l’analyse textuelle des données. D’abord en identifiant les mots les plus fréquents dans les recommandations du Y7 (chapitre : protéger les plus vulnérables) ainsi que les déclarations du G7 (pour les problématiques économiques, à savoir la ministérielle finance de juillet 2017 ainsi que la déclaration finale de fin août 2019). Puis en représentant graphiquement la proximité de chaque mot (correspondant à un thème) au lexique du Y7 et du G7. On obtient la représentation graphique ci-dessous.

Cette représentation graphique nous amène aux trois conclusions suivantes qui laissent à craindre que le sujet des inégalités n’ait servi de “vernis social” au G7.

1) Il y a heureusement des croisements entre Y7 et G7 : comme le financement, les inégalités de genre, le développement durable, la recherche d’impact et de transparence. 

2) Mais il semble que le G7 se soit concentré sur ses problématiques habituelles, à savoir la finance internationale et la stabilité du système économique mondial. En témoigne l’appartenance exclusive des termes « international », « financial », « system », « global », « policy » au champ lexical du G7.

3) Le lexique clé des inégalités semble n'est présent que pour le Y7 : à la taxation, la justice et l’équité, l’amélioration des conditions de vie, les inégalités et l’approche locale...

Malgré l'activisme français, le G7 demeure insatisfaisant sur la justice fiscale

Le G7 visait une taxation plus juste des multinationales. On ne peut pas parler de “succès” tant que la taxe GAFA reste suspendue aux tweets du président Trump. Bien qu’elle ait été mise en place unilatéralement par la France, elle ne pourra véritablement contraindre les géants de la tech que lorsqu’elle sera supranationale. Il y a quelques jours encore, alors que les Etats-Unis semblaient avoir accepté de négocier sous l’égide de l’OCDE pour une imposition minimale des grandes sociétés internationales. Mais Washington semble avoir encore changé d’avis. 

Sur ce sujet, le G7 aura eu le mérite de placer la question au centre des négociations multilatérales lors de sa réunion ministérielle du G7 Finance de juillet 2019. Le G7 a traditionnellement eu un rôle d’agenda setter, servant à inscrire une priorité à l’ordre du jour de toutes les organisations internationales. Bruno Le Maire et ses homologues ont ainsi acté la “nécessité d’améliorer le cadre actuel de la fiscalité internationale” et propose de relever “les défis fiscaux posés par la numérisation de l’économie.” Ils tombés d’accord sur la mise en place “de nouvelles règles de territorialité” pour “limiter l’optimisation fiscale agressive, en particulier s’agissant des prix de transfert relatifs aux activités de distribution”. Enfin, les ministres prévoiraient un “mécanisme robuste et efficace de résolution des différends par l’arbitrage obligatoire”.

Sur l'égalité des chances, il y a un vide inquiétant dans les travaux du G7

Les inégalités “de destin”, thème majeur affiché par la présidence du G7, est la grande absente des résultats. Le G7 se contente d’une référence laconique au rapport  de l’OCDE “Objectif Croissance” qui souligne la relation positive qui existe entre amélioration de l’égalité des chances et hausse de la croissance potentielle.

Pour compléter, nous avons droit à un éloquent truisme sur l’importance de “renforcer l'égalité des chances afin de bâtir une économie plus inclusive qui profite à tous”. 

Le jeunes qui se sont réunis au sein du Y7 appelait à beaucoup plus d’ambitions :

  • Augmenter les budgets alloués à l’éducation dans les pays du G7 et les sortir de la règle du déficit en-dessous des 3% du PIB ;
  • Garantir un revenu minimum décent du travail, dans les pays du G7, indexé régionalement au coût de la vie ; 
  • Garantir une protection sociale, y compris une couverture maladie universelle, un congé parental et un congé de maladie à chaque citoyen, quel que soit son statut et son contrat de travail ;
  • Faciliter les initiatives locales en simplifiant les démarches d’accès aux financements nationaux et européens.

L’égalité des chances, objectif affiché du G7, n’a pas été débattue ni fait l’objet de consensus. C’est là une grosse inquiétude pour les jeunes générations qui en avait fait une priorité. Le Y7, juste avant le sommet de Biarritz, appelait à faire attention à la “génération déception”, celle qui connaît les problèmes, imagine des solutions, fait entendre sa voix mais ne rencontre pas de volonté politique pour la prendre au sérieux. Une pierre blanche est posée.