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L'olympisme ou la diplomatie en short

par Kévin Cormier-Ribout, membre de l'Institut Open Diplomacy

5 août 2016

L’été 2016 sera sportif ou ne sera pas ! L'Euro, le Championnat d’Europe de football, vient à peine de se terminer en France que les Jeux olympiques prennent le relai au Brésil. Derrière la fête et les nobles valeurs sportives promues par ces tournois se cachent d’âpres batailles politiques. Il faut dire que l’enjeu est de taille pour les pays hôtes comme participants, les deux principales disciplines de ces évènements sportifs étant celles de la réputation et de l’économie. À ce titre, le sport revêt une importance stratégique dans l’établissement des politiques extérieures nationales.

Le sport, une ambassade universelle

Parce qu’il est bien plus répandu que la démocratie ou les droits de l’homme, le sport est un vecteur de communication plus accessible et touchant une plus large population que les valeurs directement défendues par les chancelleries occidentales. L’exemple du football, discipline olympique, est édifiant puisqu’il est le sport le plus pratiqué au monde. La Fédération internationale de football association, FIFA, compte plus de 270 millions de joueurs officiels – sous licence – dispersés à travers tous les continents. En transcendant les frontières politiques et culturelles, le football permet donc un dialogue informel entre les peuples ou, au contraire, exacerbe des tensions préexistantes. La rencontre entre les équipes de Turquie et d’Arménie en 2008 a ainsi été l’occasion pour les présidents de ces deux pays de se parler pour la première fois, transformant un stade entier en haut lieu de la diplomatie, tandis qu'en 1969 le Honduras et le Salvador utilisaient l’issue d’un match pour se déclarer la guerre. Les violences aux abords des stades ne sont donc que le reflet de particularités nationalistes ou régionalistes profondément enracinées dans la société.

Les Jeux olympiques, quant à eux, sont le premier événement sportif de la planète ; il est estimé qu’environ la moitié de la population mondiale, soit plus de 3,5 milliards d’individus, regarderont cette édition 2016. Ils constituent ainsi une scène de premier choix pour véhiculer de forts messages politiques. Si le fondateur des jeux modernes, le baron Pierre de Coubertin, les voulait neutres, les exemples ne manquent pas pour démontrer que cette compétition a toujours été une vitrine très politique pour son pays hôte comme pour l'ensemble de ses autres acteurs. L’exemple le plus connu est bien sûr celui des JO de 1936 qui ont ostensiblement promu la supériorité raciale de l’Allemagne nazie au travers du film Les Dieux du Stade. Une telle popularité et ses conséquences entraînent de facto la responsabilité des organisations sportives telles que la FIFA, l’Union des associations européennes de football - UEFA, ou du Comité international olympique - CIO, qui attribuent respectivement l’organisation de l’Euro et des JO.

Ces organismes sont de simples associations de droit suisse qui n’avaient pas, a priori, vocation à devenir aussi puissantes. Elles doivent aujourd’hui gérer non seulement des associations et fédérations sportives dans le monde entier mais aussi les problématiques diplomatiques qui s’expriment au travers de la pratique sportive. C’est d’autant plus inattendu que les membres de la FIFA et de l’UEFA ne sont pas des États mais bien des fédérations ou associations sportives. Le CIO a un fonctionnement différent puisque ses membres sont des personnes physiques choisies de manière discrétionnaire. L’opacité qui entoure l’élection de leurs membres, le choix du pays hôte ainsi que les milliards de recettes gérés par les associations sont régulièrement sujets à controverse.

Malgré cela, ces associations s’imposent sur la scène internationale comme de véritables organisations à vocation universelle, parfois plus universelle que l’organisation de référence en la matière, les Nations unies. De nombreuses entités géographiques non-membres de l’ONU sont ainsi représentées à la FIFA : l'Écosse, l'Irlande, le Pays de Galles, l'Angleterre (Royaume-Uni) mais aussi les Îles Féroé (Danemark), la Nouvelle-Calédonie, Tahiti (France), les Îles vierges (Etats-Unis) ou encore la Palestine. Enfin, cette année, le CIO a pris la décision de transcender à son tour les frontières, en annonçant au dernier moment la composition d’une équipe de réfugiés pour les JO de Rio 2016. Une décision éminemment politique saluée par le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies à une époque où le nombre de réfugiés n’a jamais été aussi élevé à travers le monde.

Les championnats, source de richesse et de prestige national

L’organisation de tels évènements procure un rayonnement culturel prestigieux au pays hôte qui s’en sert pour promouvoir la modernité, le dynamisme et la sécurité de ses territoires et de sa politique sportive. Un rapport d’information déposé à la présidence de l’Assemblée nationale en juin dernier note qu’un événement sportif d’ampleur dope le tourisme de l’hôte. Il prend l’exemple de Turin, ville industrielle peu visitée avant les JO d’hiver 2006, devenue depuis la quatrième destination touristique d’Italie. Un tel évènement renforce aussi la recherche - e.g. la mise au point de nouveaux textiles pour les maillots ou les chaussures. D’un point de vue intérieur, outre les retombées économiques, le sport est au service de l’union nationale.

L’exemple des évènements footballistiques accueillis par la France montre que les victoires des Bleus en 1998 et 2000 avaient augmenté la confiance des ménages, la consommation et la croissance. Ces facteurs ont été pris en compte par le ministère des Affaires étrangères français qui a nommé en 2013 un ambassadeur pour le sport, Jean Lévy. À travers le sport, le rôle de ce dernier est de renforcer la présence culturelle française dans le monde, l’utilisation de la langue française comme langue internationale du sport (il s’agit de l’une des deux langues officielles du CIO avec l’anglais), de transmettre les valeurs éthiques françaises par le sport et de positionner les entreprises nationales sur les marchés sportifs.

C’est ce qui explique la férocité de la compétition entourant l’attribution de l’organisation d’un championnat comme les JO. L’enjeu est sans commune mesure tant les retombées économiques, en termes d’image et d’emplois, sont conséquentes. Pour assurer leur prestige, les dépenses des pays hôtes ont crû de manière exponentielle au fil des ans pour atteindre plus de 32 milliards en 2008 pour les JO d’été de Pékin. D’aucuns soulignent que les lourds investissements assurés par le pays hôte ont des retombées positives. En effet, la rénovation et la construction des enceintes sportives s’accompagnent d’une modernisation du tissu urbain adjacent et profite ainsi à toute la population, revalorisant les quartiers et donnant une impulsion positive à l’emploi et à la pratique du sport en général. Il arrive malheureusement que l’organisation des Jeux représente un gouffre financier pour l’hôte. Montréal en 1976, et plus récemment Athènes en 2004, ont ainsi pâti de l’accueil des JO sur leur territoire. Le rattrapage des retards de construction et l’absence totale de valorisation des enceintes sportives après les Jeux dans ces deux villes leur ont coûté des milliards. Aussi le CIO, échaudé par ces issues malheureuses tout comme par les scandales environnementaux et humanitaires des JO chinois et russes, essaie de se montrer de plus en plus responsable dans son choix de ville hôte. Il privilégie les dossiers optant pour l’utilisation du bâti, respectueux des droits de l’homme et de l’environnement et au budget resserré. Autant dire que les JO de Rio, ville sélectionnée en 2009, constituent d’ores et déjà un échec à cet égard.

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