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La face cachée des investissements en Afrique

Paul Lorgerie, Reporter au G20 de Hambourg

25 juillet 2017

« Nous sommes prêts à aider les pays africains intéressés » et « encourageons le secteur privé à saisir les opportunités économiques africaines en soutenant une croissance durable et la création d’emplois ». Parmi d’autres, voici les timides engagements que les chefs d’Etat et de gouvernement du G20 ont pris envers l’Afrique, le 8 juillet 2017, pour ce qui devait être le premier sommet sous ce format avec de réelles avancées économiques sur le continent.

Les 12 et 13 juin, la chancelière allemande Angela Merkel, à qui revenait la présidence du G20, recevait 9 dirigeants africains afin de mettre en place le plan « Compact with Africa », élaboré en mars par les ministres des Finances lors du G20 finances à Baden-Baden. Son but ? Attirer les investissements privés sur le « continent noir » pour favoriser son développement. « L’objectif est de renforcer la coopération pour un développement économique durable des Etats africains » avait ainsi déclaré une porte-parole de la Chancelière à la presse en aval de la réunion de juin.

La migration en toile de fond

Créations d’emplois, amélioration des conditions de vie… Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), développait lors de ce sommet que « nous devons créer au sud du Sahara les conditions pour que les gens puissent y évoluer, se former et générer de la valeur pour eux et leurs familles ».

Migrants en mer (c) Frontex.

Derrière l’enjeu du développement économique se cache l’objectif sous-jacent de la réduction de l’immigration en Europe. Sujet primordial pour l’Allemagne qui a accueilli plus d’un million de migrants au cours de l’année 2015[1], ainsi que pour l’Europe. Pour autant, au classement des personnes immigrées en Europe en 2015, celles venues d’Afrique sont loin derrière des pays comme la Syrie, l’Afghanistan ou encore le Kosovo, les Erythréens, premier pays africain d’immigration en Europe, arrivant en 7e position des demandeurs d’asile[2] pour diverses raisons.

Une goutte d’eau dans la mer migratoire, donc. Mais pour Angela Merkel, l’évaporation de cette goutte d’eau participerait à une baisse du nombre de morts dans la mer Méditerranée. En 2016, on y comptabilisait 4 742 personnes mortes et disparues, près de 30 % provenant d’Afrique subsaharienne[3].

Des investissements néfastes pour certains

La réponse polémique du président français, Emmanuel Macron, à un journaliste ivoirien, lors de sa conférence de presse au G20 le 8 juillet, aurait-elle une part de vérité ? Si le « défi civilisationnel » évoqué par le chef de l’Etat dévoile une vision ethno-centrée de l’Afrique, il n’en demeure pas moins que la seconde partie de son raisonnement semble s’opposer aux ambitions de son homologue allemande : « Quand des pays ont encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien ». Au-delà de la remarque nanoraciste, qui en outre, est « cette forme narcotique du préjugé de couleur qui s'exprime dans les gestes apparemment anodins de tous les jours, au détour d'un rien, d'un propos en apparence inconscient, d'une plaisanterie, d'une allusion ou d'une insinuation, d'un lapsus, d'une blague, d'un sous-entendu et, il faut bien le dire, d'une méchanceté voulue, d'une intention malveillante, d'un piétinement ou d'un tacle délibérés, d'un obscur désir de stigmatiser, et surtout de faire violence, de blesser et d'humilier, de souiller celui que l'on ne considère pas comme étant des nôtres »[4], Emmanuel Macron relève l’inefficacité à investir dans les pays d’Afrique.

Emmanuel Macron lors de la conférence de presse du G20, le 8 juillet 2017 (c) Paul Lorgerie.

Si le Président français a forcé le trait en évoquant 7 à 8 enfants par femmes – le chiffre réel étant de 4,7 en moyenne[5] – un rapport intitulé « Les perspectives de l’économie en Afrique en 2017 », rédigé par trois organisations internationales, fait état de 57 milliards de dollars (50 milliards d’euros)[6] d’investissements directs à l’étranger (IDE) prévus vers l’Afrique en 2017. Les deux variables que sont la démographie et les IDE conjuguées, nous permettent de voir que contrairement aux idées reçues, lorsque la croissance est positive en Afrique, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté augmente.

Car le bonheur des uns fait le malheur des autres. C’est en tout cas ce que prétend Franck Ademba, membre de l’organisation MVIWATA, organisation spécialisée dans la défense des fermiers en Tanzanie. Présent lors du sommet alternatif au G20 des 5 et 6 juillet, le « Global solidarity Summit », organisé par des associations de la société civile, l’homme relate les faits sur le terrain : « Lorsqu’une grande entreprise comme Mosanto vient poser ses valises sur les terres d’un fermier qui n’a d’autre choix que de vendre, celui-ci se retrouve sans emploi, et donc sans revenu ». Les investissements, parfois louables, ont pour autant un effet normatif sur les économies locales. Afin d’adapter les systèmes de production issus des IDE, la mise en place de nouvelles politiques va de pair avec l’installation de nouveaux acteurs économiques. Quitte à ce que certains représentants empochent un billet au passage.

IDE et corruption

Angela Merkel, marquant sa volonté de renforcer l’aide au développement des pays africains, ne semble pas avoir pris en compte le facteur corruption dans son plan « Compact with Africa ». Un fait que plusieurs ONG avaient soulevé. Oxfam, ONG anglaise, avait ainsi noté en juillet que ce plan « repose sur la supposition, d’une naïveté dangereuse, que développer l’investissement privé aidera automatiquement les plus pauvres ». Ce à quoi l’organisation One, impliquée dans la lutte contre la pauvreté, avait répondu : « Il faut encore que les conditions d’investissement soient bonnes avec une population bien formée ».

Si le coût de la corruption n’est pas quantifiable, Laurent Bigot, ancien diplomate français, raconte dans Le Monde une anecdote intéressante sur le sujet. La Fondation Mo Ibrahim, censée récompenser chaque année le meilleur dirigeant africain, n’a décerné son prix que quatre fois depuis 2007[7]. Dès lors, avant de mettre en place des carottes visant à attirer les investissements privés sur le continent africain, des groupes comme le G20 ou des organes internationaux devront mettre en place les outils nécessaires pour que les conditions soient les plus favorables au peuple africain lui-même.

[1] Descours, Guillaume, « En 2016, l’Europe a vu le nombre d’arrivées de migrants fortement diminuer », Le Figaro, 18 décembre 2016, consulté le 13 juillet 2017.

[2] Vaudano, Maxime, « Comprendre la crise des migrants en Europe en cartes, graphiques et vidéos », Le Monde, 4 septembre 2015, consulté le 13 juillet 2017.

[3] Ibid.

[4] Mbembe, Achille, Politiques de l’inimitié, cité dans Mbembe, Achille, « Macron et l’Afrique : « Indiscipline verbale, vacuité intellectuelle ou cynisme ? » », L’Express, 12 juillet 2017, consulté le 13 juillet 2017.

[5] Blum Elena, « Après les déclarations de Macron sur la natalité, la vérité des chiffres », Le Monde, 12 juillet 2017, consulté le 13 juillet 2017.

[6] Organisation de coopération économique et de développement économique (OCDE), « Perspectives économiques en Afrique 2017, Entrepreneuriat et industrialisation, 22 mai 2017.

[7] Bigot, Laurent, « Oui le taux de pauvreté en Afrique recule, mais le nombre de pauvres augmentent », Le Monde, 8 juin 2016, consulté le 13 juillet 2017.

Légende de la photo en bandeau : Angela Merkel accompagnée de chefs d’Etat africains lors de la réunion des 12 et 13 juin 2017 (c) Présidence de la Guinée.

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