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Le Brésil face aux défis environnementaux

Etienne Raison

27 mars 2018

Le 31 janvier dernier, le ministère de l’Environnement brésilien annonçait la création de quatre nouvelles réserves naturelles fédérales. Le Brésil abrite désormais 673 espaces protégés[1]. Cette annonce vient confirmer l’image de bon élève en matière d’environnement que cultive le pays. D’après le World Ressources Institut, le Brésil n’est ainsi que le 7ème plus gros émetteur de gaz à effet de serre (GES), avec 1017 mégatonnes de GES émises, soit 2,33% des émissions mondiales[2]. Le pays a ratifié l’accord de Paris sur le climat en septembre 2016[3], et a accueilli le Sommet de la Terre à Rio en 1992, puis le Sommet Rio 20 en 2012. Les atouts brésiliens sont nombreux. Le pays possède les plus importantes réserves d’eau douce mondiale, la deuxième plus grande superficie forestière mondiale, accorde une large part aux énergies renouvelables dans le bilan énergétique et a mené des actions très prometteuses dans la lutte contre la déforestation. Le « géant vert » ne manque pas d’arguments.

Ce constat doit toutefois être tempéré. La déforestation ampute chaque année l’Amazonie de plusieurs centaines de milliers d’hectares, l’accès à l’eau et à l’assainissement est très inégal et le Brésil est aujourd’hui une puissance pétrolière de premier ordre. Les récents changements politiques qu’a connu le pays ont également changé la donne, et la cause écologiste semble aujourd’hui fragilisée. Quels sont les défis actuels et futurs auxquels le Brésil est confronté en matière d’environnement ?

Des problèmes persistants

Les principaux enjeux écologiques brésiliens sont clairement identifiés depuis de nombreuses années, et la plupart sont toujours d’actualité. Le plus important concerne la production d’énergie. Le Brésil reste en effet largement dépendant du pétrole, qui est de loin la source d’énergie principale (52% du bilan énergétique[4]). Depuis peu, le pays a même découvert d’énormes gisements off-shore dans l’Atlantique Sud, sous une épaisse couche de sel. Les principaux majors du secteur se sont positionnés quant à l’exploitation de ces gisements, avec tous les risques que cela comporte en termes de pollution des océans[5]. Le pays réserve toutefois une part majeure aux énergies renouvelables (43%)[6], principalement grâce à son impressionnant potentiel hydroélectrique. Les fleuves brésiliens sont en effet nombreux et puissants et plusieurs barrages ont été construits le long de ceux-ci afin d’utiliser au mieux cette ressource. On pense en premier lieu à l’Amazone, mais le plus exploité est le Parana, au sud du Brésil, sur lequel s’érige le gigantesque barrage d’Itaipu, fruit de la collaboration brésilo-paraguayenne. Ils sont cependant régulièrement pointés du doigt, tant du fait de leurs coûts de construction pharaoniques que des conséquences environnementales et des déplacements de population qu’ils engendrent. En novembre 2015, un barrage minier avait d’ailleurs cédé sur le Rio Doce, une coulée de boue dévastatrice avait tué plusieurs personnes, entraînant une catastrophe écologique majeure[7].

Barrage de Belo Monte en Amazonie (Wikimedia commons)

La question de l’eau demeure ainsi fondamentale au Brésil, et pas seulement comme ressource énergétique. Le pays dispose de près de 12% des réserves mondiales d’eau douce[8] mais l’accès à l’eau est pourtant problématique. La ressource hydrique est en effet très inégalement répartie sur le territoire brésilien. Le contraste entre l’humide Amazonie et le très sec Nordeste par exemple est saisissant, la première région concentrant près de 70% de l’eau douce brésilienne contre 3% pour la seconde[9]. Mais cela n’explique pas tout. En ce qui concerne la distribution, la population dans sa majorité est desservie par des réseaux d’alimentation en eau, dont l’état est inquiétant. Les fuites sont considérables, près de 25% de l’eau est ainsi gâchée dans la seule région de São Paulo[10], ce qui pourrait expliquer pourquoi l’eau vient parfois à manquer. Cet état de fait est aggravé par la sécheresse qui touche plusieurs régions brésiliennes depuis maintenant quelques années, pas seulement au Nordeste mais désormais dans le sud du pays[11]. Cela engendre de sérieux problèmes, tant au niveau de l’accès à l’eau pour la population que de la productivité du secteur agricole, premier consommateur d’eau du pays. L’agriculture représente 5,7% du PIB brésilien, et l’agro-alimentaire 22,5%, soit 43% des exportations et 19% des emplois[12]. Il semble que ce soit en Amazonie qu’une partie de ces problèmes trouve son origine.

Le territoire de l’Amazonie se situe majoritairement au Brésil. C'est le « poumon vert » du pays. L'Etat brésilien défend son pré carré face aux volontés d’internationalisation de la zone[13]. Malgré plusieurs années consécutives de baisse sous l'effet des agences nationales et des ONG, la déforestation est repartie à la hausse dernièrement, du fait notamment du manque de moyens des autorités, et d’un contrôle de la zone difficile. La déforestation en Amazonie, d’après plusieurs études[14], est directement responsable de la sécheresse qui touche le sud du pays. Le phénomène d’évapotranspiration de la forêt permet en effet de générer de véritables « fleuves aériens de vapeur » qui viennent ensuite se déverser dans la partie méridionale du Brésil. Et ironiquement, cette déforestation est largement imputable au secteur agroalimentaire.

Une dégradation de la situation

Les lobbys sont des leviers très puissants au Brésil. Le lobby agricole, ou ruraliste, lui-même intégré dans le lobby conservateur des BBB, pour « Bible, Bœuf, Balles », est historiquement le plus important. Depuis 2014, il est très bien représenté au Congrès avec 239 députés sur 513[15]. Le président brésilien de l'époque, "Lula" avait réussi à composer avec eux lors de ses deux mandats, mais la tâche fut plus ardue pour sa successeur, Dilma Roussef, destituée en 2016 au terme d’une procédure d’impeachment, approuvée par 80% des députés BBB.

La question de la déforestation est un sérieux enjeu politique au Brésil, mais les récents bouleversements à la tête de l’exécutif ont changé la donne. Le président par intérim, Michel Temer, est lui beaucoup plus complaisant avec le lobby ruraliste. Visé par plusieurs procédures de destitution, le soutien de BBB lui a permis de se maintenir malgré des accusations de corruption toujours plus graves. Mais ce soutien, loin d’être gratuit, a été négocié dans les coulisses du Congrès, en échange de plusieurs amendements ou de l’entrée au gouvernement de Blairo Maggi, actionnaire du groupe Amaggi, un des leaders de l’agroalimentaire et premier producteur mondial de soja. C’est ce même Blairo Maggi, alors gouverneur de l’Etat brésilien du Mato Grosso, qui fut désigné « Tronçonneuse d’Or » par GreenPeace en 2005 pour son rôle dans la déforestation amazonienne[16].

Déforestation dans l’Etat du Rondônia, Brésil (Flickr)

Au-delà des faveurs réglementaires accordées par le gouvernement de Michel Temer au lobby ruraliste, cette nouvelle donne politique a pu contribuer à développer un certain climat d’impunité chez les propriétaires terriens qui n’hésitent plus à s’accaparer les terres des petits paysans. Cela se traduit notamment par une recrudescence des conflits agraires, et une hausse des victimes liées à ces conflits dans les Etats amazoniens les plus touchés par la déforestation comme le Pará ou le Mato Grosso[17]. Cette atmosphère enhardit également les trafiquants, chercheurs d’or clandestins et petits acteurs de la déforestation qui repoussent toujours plus loin les limites de la forêt affectant directement les populations indiennes qui y vivent encore.

La fin de la dictature et la nouvelle Constitution brésilienne promulguée en 1988, a permis aux Indiens de bénéficier d’une véritable reconnaissance et surtout de plusieurs étendues de terres. En constante augmentation depuis cette date, l’expansion des terres indiennes a été cependant freinée depuis les mandats de Lula et Rousseff. Elles représentent toutefois 13,7% du territoire, pour 0,4% de la population totale[18]. La plupart des terres sont situées en Amazonie et suscitent bien des convoitises, beaucoup pointant du doigt leur surface démesurée par rapport aux populations qui y vivent. Au-delà de leur importance historique pour les populations indiennes, ces terres sont nécessaires à leur survie physique, culturelle et historique. Les Indiens sont une des solutions les plus efficaces de préservation environnementale, la déforestation chutant drastiquement dans les terres indiennes[19]. Aujourd’hui menacés, de leur survie pourrait dépendre celle de l’Amazonie.

Des motifs d'espérance

Le Brésil dispose des outils nécessaires pour sauvegarder son patrimoine environnemental unique. Plusieurs agences gouvernementales restent actives en matière de protection de l’environnement, bien que leur budget ait été réduit drastiquement ces dernières années[20] du fait de la récession économique qui a frappé le pays. Le groupe pétrolier Total en a récemment fait les frais lorsque l’IBAMA, la principale agence de protection de l’environnement brésilienne, a rejeté son dossier pour l’obtention d'un permis de forage de gisement offshore au large de l’Amazonie[21]. En ce qui concerne la déforestation, il ne faut pas oublier que la loi brésilienne oblige la replantation des surfaces déboisées[22]. Une meilleure application de ces normes permettrait de combattre plus efficacement ce fléau. Mais au-delà des différents outils normatifs et institutionnels, un des garde-fous les plus efficaces demeure la société civile. L’opinion publique, nationale et internationale, s’est ainsi émue à plusieurs reprises de certaines mesures. Michel Temer fut ainsi directement pris à partie sur les réseaux sociaux par le mannequin brésilien Gisèle Bündchen en juin dernier et dut reculer sur une mesure visant à réduire des surfaces protégées d’une réserve[23].

Ces motifs d’espoir se retrouvent également au niveau des innovations. Le Brésil dispose d’un potentiel scientifique et technique certain. Il est déjà à la pointe en matière d’agrocarburants[24], et a récemment affiché sa volonté d’augmenter sa part d’énergies renouvelables. Cela devrait d’ailleurs se faire sans les barrages, projets jugés désormais trop coûteux et difficiles à mettre en place, au profit de nouvelles sources d’énergies comme l’éolien ou le solaire. La récente mise en marche de la centrale photovoltaïque de Pirapora, la plus grande d’Amérique latine, va d’ailleurs dans ce sens[25]. A terme, elle devrait fournir de l’électricité pour 420 000 foyers.

Marina Silva, candidate écologiste à l’élection présidentielle de 2018 (Wikimedia commons)

Le principal révélateur sur l’orientation environnementale à venir demeure toutefois l’élection présidentielle de novembre 2018. Il est très difficile d’établir un pronostic, le favori Lula n’étant même pas certain de pouvoir se représenter, et les autres candidats étant soit impopulaires soit visés dans différents scandales de corruption. Dans cette configuration, son ancienne ministre de l’Environnement, la candidate du parti vert, Rede Sustentabilidade, Marina Silva fait figure d’outsider. Déjà créditée de 20% des suffrages lors de la dernière élection en 2014 elle pourrait éventuellement créer la surprise. Sa ligne clairement écologiste constituerait alors un nouvel élan dans la politique environnementale brésilienne.

[1] Elmano A. (2018), ”Governo cria quatro reservas particulares”, Ministerio do Meio Ambiente, disponible sur http://www.mma.gov.br/index.php/comunicacao/agencia-informma?view=blog&id=2820, consulté le 7 Février 2018

[2] Friedrich J. (2017), ”This Interactive Chart Explains World’s Top 10 Emitters, and How They’ve Changed”, World Ressources Insitut, disponible sur http://www.wri.org/blog/2017/04/interactive-chart-explains-worlds-top-10-emitters-and-how-theyve-changed, consulté le 7 Février 2018

[3] (2016), ”Le Brésil ratifie l'accord de Paris sur le climat”, Tribune de Genève, disponible sur https://www.tdg.ch/monde/bresil-ratifie-accord-paris-climat/story/26696852, consulté le 7 Février 2018

[4] Thery H. (2016), ”Le Brésil, pays emergé”, Editions Armand Collin, page 92

[5] Haidar D. (2017), ”Petrobras na era Temer: estrangeiras avançam na nova divisão do poder do pré-sal”, El Pais, disponible sur https://brasil.elpais.com/brasil/2017/10/28/politica/1509142655_389499.html, consulté le 7 Février 2018

[6] Thery H. Ibid.

[7] AFP (2015), ”Brésil : coulée de boue gigantesque après la rupture d’un barrage minier”, Le Monde, disponible sur http://abonnes.lemonde.fr/planete/article/2015/11/05/bresil-coulee-de-boue-gigantesque-apres-la-rupture-d-un-barrage-minier_4804268_3244.html, consulté le 7 Février 2018

[8] Boudier F. (2008), ”L’eau au Brésil. Les paradoxes de l’abondance”, Diploweb, disponible sur https://www.diploweb.com/L-eau-au-Bresil-Les-paradoxes-de-l.html, consulté le 7 Février 2018

[9] Suassuna J. (2004), ”A má distribuição da água no Brasil”, Reporter Brasil, disponible sur http://reporterbrasil.org.br/2004/04/b-artigo-b-a-ma-distribuicao-da-agua-no-brasil/, consulté le 7 Février 2018

[10] Vigna A. (2015), ”Sao Paulo, mégapole à sec”, Le Monde Diplomatique, disponible sur https://www.monde-diplomatique.fr/2015/04/VIGNA/52874, consulté le 7 Février 2018

[11] Ibid.

[12] (2015), ”Les politiques agricoles à travers le monde, quelques exemples”, Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, disponible sur http://agriculture.gouv.fr/sites/minagri/files/bresil.pdf, consulté le 7 Février 2018

[13] Thery H. (2015), ”Le Brésil et le monde”, Diploweb, disponible sur https://www.diploweb.com/Le-Bresil-et-le-Monde.html, consulté le 7 Février 2018

[14] Donato Nobre A. (2014), "O futuro climatico da Amazonia, Relatorio de avaliaçao cientifica", Centro de Ciência do Sistema Terrestre, Instituto Nacional de Pesquisas Espaciais et Instituto Nacional de Pesquisas da Amazônia, disponible sur http://www.ccst.inpe.br/wp-content/uploads/2014/10/Futuro-Climatico-da-Amazonia.pdf, consulté le 7 Février 2018

[15] Gatinois C. (2017), "Le Brésil sous l’emprise des BBB pour boeuf, Bible, balle", Le Monde, disponible sur http://abonnes.lemonde.fr/decryptages/article/2017/12/19/le-bresil-sous-l-emprise-des-bbb_5231609_1668393.html, consulté le 7 Février 2018

[16] (2005), " 'Soya King' wins Golden Chainsaw award", Greenpeace, disponible sur https://www.greenpeace.org/archive-international/en/news/features/soya-king-wins-chainsaw/, consulté le 7 Février 2018

[17] Martin M. (2017), "Chacina no pará escancara escalada da barbárie em conflitos agrários no Brasil", El Pais, disponible sur https://brasil.elpais.com/brasil/2017/05/25/politica/1495737149_649329.html, consulté le 7 Février 2018

[18] Le Tourneau F.M (2017), ”Le Brésil et ses Indiens : une réconciliation impossible ?”, EchoGeo, dispnible sur http://journals.openedition.org/echogeo/15027, consulté le 7 Février 2018

[19] Vasquez & Mueza (2017), "Climat : « Il faut renforcer les droits fonciers des populations autochtones d’Amérique latine » ", Le Monde, disponible sur http://abonnes.lemonde.fr/climat/article/2017/05/19/climat-il-faut-renforcer-les-droits-fonciers-des-populations-autochtones-d-amerique-latine_5130695_1652612.html, consulté le 7 Février 2018

[20] (2014) ”Dilma corta 72% da verba contra desmatamento na Amazônia”, Folha de Sao Paulo, disponible sur http://m.folha.uol.com.br/ambiente/2015/03/1610479-dilma-corta-72-da-verba-contra-desmatamento-na-amazonia.shtml?cmpid=twfolha, consulté le 7 Février 2018

[21] Barroux R. (2017), ”Le Brésil envisage d’annuler un projet Total qui pourrait menacer ses côtes”, Le Monde, disponible sur http://abonnes.lemonde.fr/planete/article/2017/08/30/le-bresil-envisage-d-annuler-un-projet-de-total-qui-pourrait-menacer-ses-cotes_5178481_3244.html?xtmc=bresil&xtcr=42, consulté le 7 Février 2018

[22] Thery H. (2016), "Le Brésil, pays émergé", Editions Armand Collin, page 92

[23] Gatinois C. (2017), "Déforestation au Brésil : l’opération « greenwashing » de Michel Temer fait long feu", Le Monde, disponible sur http://abonnes.lemonde.fr/planete/article/2017/06/24/deforestation-au-bresil-l-operation-greenwashing-de-michel-temer-fait-long-feu_5150613_3244.html?xtmc=bresil&xtcr=58, consulté le 7 Février 2018

[24] Thery H. (2016), "Le Brésil...", op. cit., page 98

[25] AFP (2017), "A Pirapora, le Brésil se tourne vraiment vers le solaire", Le Point, disponible sur http://www.lepoint.fr/economie/a-pirapora-le-bresil-se-tourne-vraiment-vers-l-energie-solaire-10-11-2017-2171286_28.php