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Le tic-tac de Big Ben

| Thomas Friang

28 juin 2016

Cet article est rédigé grâce à la coopération entre Open Diplomacy et touteleurope.eu.

L'humour britannique convient à merveille à l'ironie de l'histoire. Son ambassadeur est l'Eurodéputé Nigel Farage (UKIP) : lors de la première assemblée plénière du Parlement européen pour débattre de la situation du Royaume-Uni, il n'hésite pas à lancer "lorsque je suis arrivé au Parlement il y a 17 ans en disant que je voulais mener campagne pour sortir la Grande-Bretagne de l'UE, vous m'avez ri au nez ; aujourd'hui vous ne riez plus."

Ses traits agacent beaucoup au sein du Parlement européen. Ce dernier s'est réuni ce 28 juin, à l'orée du Conseil européen, en session extraordinaire dans une ambiance très tendue.

Brexit ASAP

Le président de l'assemblée, Martin Schulz, suivi rapidement par le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, débute la séance en appelant David Cameron à "respecter le peuple souverain britannique en activant au plus vite l'Article 50 du Traité de l'Union européenne", afin d'enclencher le processus de sortie du Royaume-Uni.

En écho à cet appel intransigeant qui est l'enjeu central de ce Conseil européen de juin 2016, les présidents des principaux groupes politiques du Parlement (PPE, S&D, ALDE et Verts/ALE) exigent aussi que Londres ne joue pas la montre contre la volonté du peuple, dans l'espoir de négocier de meilleurs accords de sortie.

Juncker enfonce le clou : "no notification, no negotiation". Il a ainsi interdit à tous les Commissaires européens et aux directeurs généraux de la Commission de communiquer avec la délégation britannique, afin de s'assurer que les pourparlers sur la sortie du Royaume-Uni hors de l'UE ne démarrent en amont du déclenchement du chronomètre de deux ans prévu par l'Article 50 du TUE.

La chancelière allemande souhaite laisser du temps à Westminster, David Cameron n'envisageant pas les choses avant octobre 2016 de toutes manières. De leur côté, Jeanine Hennis-Plasschaert, la présidente néerlandaise du Conseil de l'UE jusqu'au 30 juin prochain, tout comme le président de la République française, poussent pour une sortie sans délai.

Car le délai que s'accorderont les Britanniques pour notifier au Conseil européen leur souhait de quitter l'Union européenne conditionne leur capacité à préparer le Brexit. La création d'un ministère dédié au sein du Cabinet britannique est prévue, mais il s'agit d'un travail titanesque. Pour renégocier des centaines d'accords commerciaux sans parler de la création d'une relation sui generis UE-UK (le président du UKIP ne manque pas d'ironiser à nouveau, "le Royaume-Uni sera votre meilleur ami au monde."), il faudra du temps. Un temps que Londres ne veut pas voir limité par les deux ans prévus par les traités à partir de la date de notification au Conseil.

Brexit, what else?

Le Parlement européen a adopté ce matin une résolution (1) pour demander au Conseil un Brexit "rapide pour mettre fin à l'incertitude" ; mais au-delà des doutes qui planent sur le calendrier, et qui pèsent sur les anticipations des marchés, le référendum britannique soulève une rafale de problèmes politiques collatéraux qui ne sont pas encadrés par le droit de l'Union.

En juin 2017, le Conseil de l'Union européenne, généralement considéré comme la chambre des Etats membres - une sorte d'équivalent européen du Sénat américain - doit être présidé pour six mois par le Royaume-Uni. Si le Parlement européen a demandé une modification de l'ordre des présidences tournantes du Conseil pour remédier à ce problème délicat... il y a plus complexe encore.

Comment doivent se comporter les 73 Eurodéputés du Royaume-Uni ? Comme Lord Hills, le Commissaire britannique, salué par tous les bords du Parlement européen pour la bravoure de sa démission ? Ou est-ce qu'une mesure aussi radicale ne doit concerner que les parlementaires britanniques qui ont fait campagne pour le Brexit ? Ou alors - comme il est prévu par l'Article 50 pour les membres britanniques du Conseil européen et du Conseil de l'Union européenne - est-ce que les parlementaires anglais doivent désormais s'abstenir de prendre part aux futurs travaux européens, se limitant à un rôle d'observateur ?

Les députés européens des autres Etats membres craignent une "influence anglaise de l'intérieure" dans une phase de négociation très délicate, sur l'avenir de la Politique agricole commune (PAC) ou encore quant aux prochaines perspectives financières européennes - et notamment le prochain cadre budgétaire pluriannuel pour la période 2020-2027. A minima, certains Eurodéputés anglais qui jouaient jusqu'ici le rôle de rapporteurs d'actes législatifs européens ont déjà clarifié la situation en démissionnant de leurs fonctions - sans pour autant quitter leur mandat. Mais qu'en sera-t-il de Linda McAvan, présidente socialiste (S&D) de la Commission du développement au sein du Parlement européen ? De Vicky Ford, députée conservatrice, qui dirige la Commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs ? Ou encore de Claude Moraes, également membre du groupe S&D, qui préside les travaux de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures ?

Tandis que certains parlementaires espèrent faire du Brexit une chance pour relancer la construction européenne, certains pensent à une Europe à deux vitesses, comme le français Jean Arthuis (membre de l'ADLE (Alliance des Démocrates et Libéraux pour l'Europe) et d'autres appellent à une réorientation des politiques communautaires comme le belge Philippe Lamberts, co-président du groupe Verts/ALE.

Mais tous devront faire face aux eurodéputés anglais dont le mandat désormais clair est porté par plus de 17 millions d'électeurs britanniques : quitter l'Union dans les meilleurs conditions pour le Royaume-Uni. Au sein du Parlement européen, la situation ne parait pas plus soutenable qu'au Conseil avec les tergiversations de David Cameron.

(1) Résolution 2016/2800 (RSP) adoptée par le Parlement européen le 28 juin 2016 par 395 voix contre 200 : http://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/20160628IPR34006/Les-d%C3%A9put%C3%A9s-demandent-un-Brexit-rapide-et-une-r%C3%A9forme-profonde-de-l'Union.

(2) Tribune de Jean Arthuis, ancien Ministre et président de la Commission du budget du Parlement européen, dans Ouest France du 28 juin 2016 : http://jean-arthuis.eu/fr/presse/503-le-brexit-une-chance-pour-l-europe.html.

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