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Pourquoi Trump ne peut pas perdre l’élection américaine

Par Béatrice Leydier, étudiante en double Master en Management (HEC Paris) et Politiques publiques (Georgetown University)

7 novembre 2016

Expatriée à Washington DC depuis plus d'un an, j'ai pu suivre les primaires et la campagne présidentielle américaine aux premières loges. A quelques jours d’une élection entourée d’énormément d’incompréhension, j’aimerais partager outre-Atlantique une vision de l’intérieur qui ouvrira peut-être des perspectives moins relayées en Hexagone.

L’élection des détestables

Un des éléments marquants de cette élection est à quel point les deux principaux candidats en lice sont détestés par l’opinion publique à des niveaux historiques. A l’étranger, il me semble que l’on saisit bien l’excentricité de Donald Trump et l’exaspération qu’il génère, mais on ne perçoit pas forcément la méfiance, voire la haine palpable qu’Hillary Clinton inspire à des millions d’Américains.

Un sondage publié en septembre 2016 montre qu’une large portion des supporters d’Hillary déclare voter principalement non pour la candidate mais contre “the Donald", mais une part encore plus grande de supporters de Trump déclare voter principalement contre Clinton. Ainsi près de la majorité des électeurs de Trump sont prêts à voter, peut-être même contre leurs propres valeurs, pour un personnage clownesque aux convictions peu claires, avant tout pour écarter de la Maison blanche une femme politique qui semble expérimentée et professionnelle. Comment cela est-il possible ?

(c) Krassotkin, Gage Skidmore

Pourquoi tant de haine ?

Un premier élément de réponse est le sexisme du système politique et de la société américaine. Nul doute que Clinton a subi, et continue de subir, les barrières invisibles, mais bien présentes, que la société érige contre les femmes - faisant passer des convictions pour de l’hystérie, de l’écoute pour de la sournoiserie, de l’ambition pour de la prétention et de l’expérience pour de l’avidité.

Mais cela n’explique pas tout. Clinton, en tant qu’ex-avocate, ex-Première Dame d’Arkansas, Première Dame des États-Unis, Sénatrice de New York et Secrétaire d’État, est l’incarnation même d’un monde politique carriériste, de l’ordre établi et du système bi-partisan qui est lentement mais largement remis en cause, comme l’ont illustrées les primaires des deux camps en faisant émerger de nouveaux candidats hors système tels Donald Trump et Bernie Sanders, et se révélant particulièrement difficiles pour les candidats apparatchiks et larges favoris comme Jeb Bush ou Hillary Clinton.

Hillary Clinton est emblématique de la femme politique machiavélique qui fait des compromis pour obtenir des résultats quitte à compromettre son intégrité - elle est particulièrement critiquée pour avoir une position “publique” et une position “privée” en fonction de son audience. Elle est parfois perçue au prisme d’une soif de pouvoir, et d’un manque de compassion et de proximité envers ses compatriotes. Dans un discours de campagne, le 9 septembre 2016, elle a rangé la moitié des électeurs de Donald Trump dans un “panier de pitoyables”, les qualifiant de xénophobes, misogynes, racistes entre autres - et si certains le sont peut-être, cette désignation d’une grande partie de la classe populaire américaine a renforcé l’image méprisante de la candidate démocrate.

Controverses et condamnations

Le couple Clinton est également emblématique du couple puissant au réseau tentaculaire qui pourrait les situer au-dessus des lois. Plusieurs controverses ont entaché notamment l’exercice des fonctions de Hillary Clinton en tant que Secrétaire d’État de 2009 à 2013, sans jamais donner lieu à une condamnation pour la principale intéressée. Si certains y voient un blanchiment de la candidate, d’autres considèrent au contraire que d’un côté la multiplication des controverses et de l’autre l’absence de condamnation illustrent la protection dont elle bénéficie dans un système politique qui œuvre pour sa propre stabilité.

L'ancienne Secrétaire d'Etat déposant devant le "House Select Committee on Benghazi", 22 octobre 2015 (c) C-SPAN

Les controverses en question vont de potentiels conflits d’intérêt liés aux donations de dignitaires étrangers à la Fondation Clinton, à sa supervision de la crise générée par l’attaque de la représentation consulaire américaine de Benghazi en Libye qui a conduit à la mort de cinq diplomates américains en 2012, à la gestion de ses emails alors qu’elle était Secrétaire d’État via un serveur privé, personnel et non sécurisé en dépit des réglementations fédérales, emails qui contenaient pour certains des informations classifiées, et dont un grand nombre a été détruit à dessein - laissant planer le doute sur leur véritable contenu. Cet été, le directeur du FBI avait annoncé la décision de ne pas poursuivre Hillary Clinton pour des charges fédérales, arguant que les éléments d’enquête obtenus témoignaient d’une véritable négligence (et de pratiques illégales) de la part de la Secrétaire d’État mais pas nécessairement d’une intention de nuire. Alors que le FBI a annoncé au Congrès le 29 octobre, à quelques jours seulement de l’échéance électorale du 8 novembre, que l’enquête sur le serveur privé de Clinton était ré-ouverte à la suite de la découverte de nouveaux emails dans une affaire connexe (bien que le FBI ait annoncé le 6 novembre que l'analyse de ces nouveaux emails ne permettait pas de modifier la position du FBI vis-à-vis de Clinton, clôturant ainsi ce nouvel épisode sans toutefois mettre un terme final à l'investigation), la tempête médiatique contre les agissements suspects de Clinton est plus forte que jamais.

En un mot : une immense majorité d’Américains, Démocrates, Républicains et indépendants confondus, ne font pas confiance à Hillary Clinton - et plus important encore, ne semblent pas convaincus que leurs institutions la tiennent véritablement pour responsable de ses actes, d’où leur réticence à lui confier les plus hautes fonctions de l’État.

Bien sûr, les scandales pèsent lourd dans le camp républicain également : des aventures commerciales de Trump pas si réussies, à la fraude de sa Trump University, des donations et activités douteuses de la Fondation Trump, aux différents scandales sexuels qui touchent le candidat y compris une caméra cachée où Trump se vante d’avoir harcelé sexuellement plusieurs femmes, et autres procès concernant des cas de discrimination ou emploi illégal, le camp Trump gagne haut-la-main la course du candidat le plus controversé, ce qui a amené de nombreuses figures majeures du Parti républicain à désavouer publiquement ce dernier. Cependant, contrairement à Clinton qui est enfermée dans un cercle de suspicion en tant que complice et protégée du système, Trump bénéficie dans l’opinion publique de l’immunité de l’outsider qui, s’il n’est pas parfait, est perçu comme répondant personnellement de ses erreurs.

Et maintenant ?

La politique américaine est dans une impasse. Si Hillary Clinton est élue le 8 novembre, elle sera toujours l’objet d’une investigation du FBI qui pourrait donner lieu à une procédure de mise en accusation devant le Congrès, d’autant qu’il y a de fortes chances que le Congrès demeure républicain - ce qui ferait d’elle la quatrième présidente à être mise en cause dans l’exercice de ses fonctions, après Andrew Johnson en 1868, Richard Nixon en 1974 et son mari Bill Clinton en 1998 - quoique aucun n'ait été potentiellement concerné par une telle procédure dès le début de son mandat, et qu’aucun n’ait formellement été condamné et destitué dans ce cadre. Dans tous les cas, la perspective d’une présidence Clinton à partir de janvier 2017 est avant tout celle d’une présidence tortueuse, et probablement sans majorité parlementaire.

Une présidence de Donald Trump, en revanche, n’est pas plus prometteuse : sans parler de l’instabilité sur la scène internationale qui en résulterait étant donné son refus de respecter un certain nombre de codes diplomatiques, et un programme relativement vague ou peu réaliste, Donald Trump a clairement démontré qu’il ne portait pas le Congrès dans son estime - ce qui est logique, en tant que candidat anti-système - et qu’il ne ferait pas d’effort de compromis, ce qui risque d’être problématique alors qu’une grande majorité de députés, y compris Républicains, ne soutient pas le candidat de son propre parti. Ainsi, même avec un Congrès républicain, Donald Trump n’aurait probablement pas toujours une majorité évidente pour gouverner - et cela pourrait conduire à un profond démantèlement du Parti républicain, entre les pro et anti-Trump, ainsi qu’une apathie prolongée de l’action politique américaine.

Ces deux perspectives peu réjouissantes ne facilitent pas le choix des électeurs américains, en particulier des indépendants - qui représentent plus de 40 % de l’électorat américain d’après l'institut de sondage Gallup. Plus que la fin d’un long et douloureux combat, cette élection de 2016 paraît marquer le début d’une ère d’incertitude et de marasmes politiques. Dans ce contexte, en relisant les arguments mathématiques de Michael Moore sur une victoire probable de Trump, on peut penser qu’une victoire de ce dernier : 1) n’est pas si improbable qu’on ne pourrait le penser ; 2) ne serait pas forcément si cataclysmique d’un point de vue politique et domestique en comparaison avec l’alternative proposée.

Alors que Donald Trump ne cesse de répéter que le système électoral est truqué et a publiquement refusé d’accepter à l'avance les résultats de l’élection de novembre, même les observateurs électoraux envoyés par l’Organisation des Etats américains - OAS cette année (pour la première fois dans l’histoire) ne seront pas suffisants pour rafistoler la démocratie américaine qui traverse une profonde crise de confiance à laquelle aucun des deux candidats ne semble pouvoir remédier - et surtout pas Clinton, qui l’incarne avant toute chose. Dans ce contexte, une défaite électorale de Trump ne semble annoncer que du pire. En un sens, Trump a déjà gagné le combat anti-système. Quel qu’il soit, le résultat de l’élection sera un nouveau fait d’armes, mais n’achèvera pas la guerre.

Légende de la photo en bandeau : Donald Trump en meeting électoral, mars 2016, Fountain Hills, Arizona (c) Gage Skidmore.

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