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Budget européen : vue d’ensemble des projets de fiscalité européenne

| Sacha Courtial

7 mai 2021

Le 9 mai 2021 débute à Strasbourg la « Conférence sur l’Avenir de l’Europe ». Pendant cette année de consultation publique, tous les citoyens européens ont la possibilité de partager leur réflexion sur les grands changements institutionnels, et plus largement sur la manière de façonner le projet européen. Le renforcement du budget européen, entamé exceptionnellement à cause de la pandémie, en est un des enjeux majeurs.

« Tout doit être possible » a expliqué le Président du Parlement, David Sassoli, quelques semaines avant le début de la Conférence. En effet, plusieurs verrous politiques et institutionnels majeurs ont contribué à, par exemple, maintenir un statu quo dans le fonctionnement du budget européen depuis le compromis trouvé lors du traité de Luxembourg de 1970. Cette situation a soudainement évolué en 2020 avec les bouleversements liés à la pandémie et l’initiative NextGenerationEU - NGEU, permettant à nouveau l’émergence de propositions crédibles.

Trois verrous à la réforme du budget européen

Le poids des pays européens dits « frugaux » et de l'Allemagne qui, jusque-là, posait son véto sur les réformes d'intégration européenne ont créé un véritable « verrou de frugalité » qui a systématiquement bloqué les propositions d’extension du budget de l’Union. Prévu initialement pour répondre aux besoins communs des pays membres, le budget européen est faible depuis son origine : en 2017, il tourne autour de 1 % du revenu national brut de tous les États-membres de l’UE, ce qui est plus faible que le budget de l’Autriche ou de la Belgique par exemple.

Pourtant l’UE a la prérogative d’agir sur un grand nombre de domaines, de la politique agricole commune aux politiques de cohésions des territoires, en passant par la recherche européenne. La balance entre un pouvoir normatif hypertrophié et un budget atrophié aboutit à une difficulté supplémentaire pour l’UE de financer ses ambitions. D’après l’étude eurobaromètre de Juillet 2020, 56 % des citoyens souhaiteraient que l’Europe se dote de moyens financiers plus importants, notamment pour faire face à la crise de la COVID-19.

Deuxièmement, le budget européen endosse un « verrou institutionnel ». D’après les traités et notamment celui de Lisbonne (décembre 2007), le budget européen devrait être financé en majorité par des ressources propres (taxes directement perçues à l’échelon européen). Les « contributions nationales » (paiement direct des Etats-membres à l’UE) sont prévues pour compléter la différence. Or aujourd’hui, les ressources propres sont très insuffisantes, ce qui implique que 75 % du budget européen vient des contributions directes des Etats-membres. Historiquement, les ressources propres font pourtant partie de l’esprit des traités, depuis la création d’un espace économique entre les pays européens. En effet, elles remontent au prélèvement de la CECA sur le charbon et l’acier, et se sont poursuivies avec l’introduction en 1970 des ressources propres traditionnelles (droits de douane, prélèvements agricoles).

Troisièmement, le budget européen supporte un « verrou comptable ». En effet, le budget voté et exécuté en équilibre annuel, doit aussi respecter le cadre financier pluriannuel - CFP - adopté pour sept ans. Au sein de ces contraintes comptables, la répartition du budget au sein des différents postes de dépenses est une négociation difficile chaque année. En cela, l’échec du sommet des 27 en février 2020, bloqué par les pays dits « frugaux », en est le parfait exemple.

Crise sanitaire : un poids trop lourd pour le budget européen ?

La sortie du Royaume-Uni, contributeur net au budget européen, a fait diminuer de fait les recettes de l’Union. Seulement cette sortie s'est déroulée concomitamment avec la pandémie de COVID-19 qui induit pour l’Europe des dépenses non anticipées et fait peser un poids nouveau sur le budget européen : pour cause, la relance économique des États-membres ne se fera sans l’aide de l’UE. Ainsi, la diminution des recettes couplée à l’augmentation des dépenses ont fait sauter trois verrous majeurs, laissant place à une potentielle refonte du budget.

Tout d’abord le verrou institutionnel a sauté. Après la sortie du Royaume-Uni et face à la difficulté de combler le vide laissé par l’absence de contribution d’Outre-Manche, les États-membres pourraient se tourner à nouveau vers l’augmentation d’autres ressources propres. Ensuite, le verrou de frugalité s’est débloqué : le montant des dépenses de l’UE va être multiplié par deux sur le prochain septennat (2021-2027) par rapport à la période précédente (2014-2020). Grâce au plan NGEU, le budget voté est enrichi d’un prêt de la Commission européenne de 750 milliards d’euros pour le financement de projets européens. Enfin, le verrou comptable s’est libéré en raison des nécessités de flexibilité liées à la crise.

À la suite de l’énorme pression sur l’ensemble des pays européens, le prêt de la Commission européenne va permettre aux États une plus grande flexibilité dans la gestion de la reprise économique. Toutefois, de nouveaux projets fiscaux sont nécessaires pour pérenniser ce renforcement du budget européen.

Évolutions et pistes nouvelles : la transformation du budget européen ?

Concernant l’augmentation des ressources propres dans le budget européen, la Commission a adopté un calendrier qui prend en compte l’attente des conclusions de l’OCDE sur le sujet. Les projets de taxes européennes discutés sont les suivants :

  • Une « Taxe plastique » visant les déchets d'emballage en plastique non recyclé est 

discutée depuis 2018 et appliquée depuis le 1er janvier 2021. Elle soulève toutefois de nombreux débats sur le poids de la taxe. Si l'État va s’acquitter de cette contribution, ce sont bien les collectivités ayant la compétence de la gestion des déchets qui en auraient la répercussion.

  • Une « Taxe carbone » pénalisant les produits importés dans l'UE depuis des pays aux normes climatiques moins strictes a été proposée 

par le Parlement européen le 10 mars 2021. Toutefois, la présence de quotas gratuits accordés aux industries sape l’efficacité de la taxe.

  • Enfin une « Taxe GaFa » visant directement les grandes entreprises du numérique a été d’abord 

D’autres pistes proposées par la Commission européenne sont à l’étude et si elles sont envisageables, elles semblent difficilement réalisables, car elles font naître d’importantes divisions au sein des États-membres.

Premièrement, le système d’échange de quotas d’émissions de CO2 pourrait être étendu au transport aérien et maritime, pour l’instant tous deux exemptés. Après une première proposition de la Commission, le conseil Européen avait accepté en 2016 de préparer la mise en œuvre d'un mécanisme de marché mondial à partir de 2021. Le mécanisme de de la mise aux enchères des droits à polluer existe depuis 2005 et couvre environ 40 % des gaz à effet de serre émis en Europe. L’administration européenne possède 15 ans d’expérience sur l’application de cette taxe, ce qui faciliterait son élargissement.

Deuxièmement, la Commission européenne a proposé de relancer en octobre 2016 le projet de l’assiette Commune Consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS). Cet impôt unique en Europe permettrait de lutter efficacement contre l’évasion fiscale, une mesure qu’attendent beaucoup de citoyens.

Enfin, un nouveau projet de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) européenne est envisagé. Introduite en 1970, la « ressource TVA » est une contribution des États membres correspondant au montant d’une TVA perçue au taux de 0,3 % sur une assiette harmonisée entre les pays de l’UE de la TVA qu’ils perçoivent. Selon Alain Lamassoure, ancien président de la commission des budgets au parlement européen, la mise en place d’une TVA harmonisée sur les produits importés pourrait égaler la contribution de la France au budget européen.

Dans un horizon plus lointain, la Commission s’est aussi engagée à travailler sur une taxe sur les transactions financières, pour une entrée en vigueur en 2026.

Les analyses et propos présentés dans cet article n'engagent que son auteur. Sacha Courtial, Junior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, s'intéresse à la citoyenneté mondiale.